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pour tromper notre appétit, d’un assez gros morceau de dialogue à la bourgeoise, qui figure le deuxième acte, et d’un hachis de vaudeville qui sert d’entrée au troisième : le tout, bien entendu, accommodé avec art et qui ne serait pas désagréable si nous n’attendions mieux ; ce n’est ici pour nous que hors d’œuvre indigeste et viande creuse. Tout ce deuxième acte est inutile et tombe de lui-même quand, de mémoire, on essaie de reconstituer la pièce. Vainement des personnages épisodiques, à qui le talent aimable de M. Berton, la verve de M. Dieudonné, la grâce de Mlle Lody prêtent un semblant d’existence, s’efforcent, après quinze ans, de nous intéresser au récit de ce que nous avons vu dans le prologue. Même nous n’écoutons pas sans malaise les rapports que MM. Berton et Dieudonné, — celui-ci décoré du nom burlesque d’Isidore Béchamel, — font au comte de Clermont-Latour des aventures galantes de sa femme. le ton de cette conversation, malséante en elle-même, est d’une trivialité qui sent le Béchamel beaucoup plus que le Clermont-Latour, et le langage, ici, paraît, aussi bien que les mœurs, de médiocre bourgeoisie. Quelques « mots » sont amusans ; peu sont imprévus, et peu d’une qualité qui passe l’ordinaire. On voit clairement que ce n’est pas là que l’auteur a porté son effort, et je me garderai, pour moi, de l’en blâmer le moins du monde. Je fais honneur de cette négligence à un discernement très sûr des soins différens que méritaient les différentes portions de son ouvrage ; l’une essentielle et viable et pour laquelle, en conscience, il devait réserver sa peine ; l’autre, inutile et, quoi qu’il fît, caduque, réclamée par la gloutonnerie du public et qu’il devait se hâter d’expédier à peu de frais. Les gens veulent à toute force que le spectacle dure trois heures : il en durera donc quatre, on leur fera bonne mesure : s’il n’y a qu’un homme qui s’aperçoive qu’un tiers au moins de la pièce est tout de remplissage, l’auteur sera celui-là. Et, en effet, s’il n’est pas le seul à juger sévèrement cette partie, du moins fort peu de spectateurs imiteront sa justice ; la plupart seront dupes, et cela suffit bien, du mouvement et du babil de ces formes humaines manœuvrées, et soufflées de la coulisse avec une adresse rare, pour amuser l’intérêt et soutenir la patience jusqu’à la rentrée sur la scène des véritables héros.

Ainsi je ferai bon marché, aussi bien que du second acte, de ce vaudeville haché menu par où commence le troisième. Il est fort amusant, ce vaudeville ; c’est un va-et-vient de caricatures, où se détache au premier plan la silhouette d’un valet représenté par M. Colombey, avec suffisance et malice, et, un peu en arrière, un peu trop peut-être, la charmante figure d’une aventurière qui se nomme à la ville Mlle Réjane. Mais je suis persuadé que M. Sardou ne m’en voudra pas de ne goûter que du bout des dents ce hors-d’œuvre et de garder ma faim pour le plat de résistance : aussi bien ce tripot niçois où nous retrouvons la comtesse Odette, maîtresse de son vingtième amant, qui sera peut-être le