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c’est dans ce rôle, — j’y reviens, — tel qu’il est esquissé à la fin de ce troisième acte, que gît l’intérêt littéraire de la pièce de M. Sardou.

Elle devine donc, la révoltée Odette, que, pour prendre après quinze ans un souci nouveau de son nom, le comte a des raisons nouvelles qu’il ne lui dit pas. Elle interroge, il avoue : « Ma fille, — votre fille, — aime, elle est aimée : la famille de son fiancé met cette condition au mariage… — Ma fille ? J’ai donc une fille ? où est-elle ? Je ne la connais pas… Soit ! J’ai une fille puisque vous me le dites… Vous lui avez appris à me mépriser, à me haïr… — Non ! elle vous croit morte ! — Ah ! je suis morte pour elle… en bien ! elle est morte pour moi ! » Le comte s’indigne, il s’emporte jusqu’à outrager cette mauvaise mère. « Je ne suis pas une mauvaise mère, » répond-elle… (il va sans dire que le critique cite ici de mémoire et seulement selon le sens du dialogue ;) « je ne suis plus mère, voilà tout. Vous avez dédaigné de tuer la femme, mais vous avez tué la mère : vous avez négligé votre droit pour l’outre-passer ensuite. Tant pis si maintenant les conséquences vous gênent ! Vous m’avez volé mon enfant ; je suis telle que vous m’avez faite ! » Et plus le comte insiste, plus humblement il emploie après l’injure la prière, plus il apparaît tendre et prêt à noyer de larmes sa colère pour obtenir de la mère le bonheur de l’enfant, — plus aussi la femme se raidit et se retranche, et savoure le plaisir de se venger de l’époux en faisant souffrir le père. Mais peu à peu, — et c’est là le point délicat où je reconnais un psychologue plus subtil que je n’attendais, peu à peu, de cette vengeance exercée sur le sentiment paternel, l’âme d’Odette se tourne à envier ce sentiment, et cette envie, d’abord vindicative encore, s’achève à la fin en un pur désir : le désir de revoir cette fille qu’il fait si bon aimer. Elle veut la voir, elle la verra. Pourquoi ? Peut-être elle l’ignore elle-même. L’instinct ranimé la pousse, plus encore que cet obscur espoir qu’elle n’ose encore s’avouer et que le comte lui révèle : qui sait ? Qu’on la mène seulement devant sa fille ; elle se nommera, toutes deux mêleront leurs larmes et ce flot lavera le passé : Odette de Clermont-Latour ressaisira d’un coup son enfant, son mari et son état dans le monde… Cette folle entreprise, on ne la lui défend pas, mais on l’en défie. Le comte veut en finir : demain Odette verra sa fille.

Quelques fanfarons de cruauté, comme en forme nécessairement cette littérature contemporaine où se tarit, selon l’expression de Shakspeare, « le lait de l’humaine tendresse, » auraient voulu qu’Odette restât jusqu’au bout exclue de l’amour maternel et qu’elle s’en tînt aux déclarations qu’elle a faites un peu plus haut sur la vanité réelle de ce sentiment acquis. Ils la prennent au mot et professent que, si la voix du sang existe, elle a besoin, pour se faire entendre, d’être développée par l’exercice : leur diagnostic est rapide, et de l’indignité