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que l’équilibre européen ? C’est l’indépendance de l’Europe ; c’est le soin constant de toutes les nations, dans les siècles modernes, à veiller les unes sur les autres, à empêcher que l’une d’elles ne prenne des proportions inquiétantes pour l’indépendance commune… il y a donc contre ce qui se prépare en ce moment dans le centre du continent trois grandes raisons à faire valoir : d’abord l’intérêt de l’Allemagne elle-même, puis l’intérêt de la France, enfin l’intérêt de la société universelle, — car c’est là ce que signifie le mot Europe !


Avant que trois mois fussent passés, la vérité de ces paroles avait éclaté dans le feu des batailles. Sadowa avait fondé la suprématie prussienne. L’Autriche était hors de l’Allemagne. La France, la France de l’empire, trompée dans ses calculs, vaincue autant que l’Autriche elle-même sans avoir combattu, restait en face d’une puissance qu’elle avait contribué à élever par ses connivences, par ses faiblesses, dont elle devait subir les dangereux agrandissemens ou qu’elle devait se préparer à combattre. Tout se trouvait accompli selon le discours du 3 mai, et, lorsque les conséquences de cette guerre de 1866 se dévoilaient par degrés, M. Thiers avait certes bien le droit de remettre le gouvernement en présence de ce qu’il avait fait ou laissé faire, de montrer les dangers d’une situation si brusquement et si étrangement aggravée ; il avait le droit de dire, à l’empire le mot devenu historique : « Prenez garde,.. vous n’avez plus une faute à commettre ! .. » Lorsque, malgré tant de déceptions, malgré les périls devenus évidens, des esprits chimériques ou par trop optimistes se plaisaient encore à triompher de tout ce qui se passait, à célébrer les victoires du « principe des nationalités, » M. Thiers, ne se contenant plus, s’écriait en paroles entre-coupées : « Et l’intérêt de la France ? Montrez-nous donc l’intérêt de la France en tout cela ! .. Où mettez-vous donc l’histoire de la France ? Il faut déchirer notre histoire tout entière… Nous sommes ici tantôt Italiens, tantôt Allemands, nous ne sommes jamais Français ! .. — Je vous demande pardon de mon émotion ; mais enfin si en Allemagne on était Français, si en Italie on était Français, je comprendrais que nous allassions prendre fait et cause pour les Allemands et les Italiens ; mais comme en Allemagne on est Allemand, et comme on est Italien en Italie, il faut en France être Français… »

Lorsqu’enfin, à bout d’expériences, on en venait à chercher les causes premières, la moralité de ces péripéties du règne, M. Thiers n’avait pas de peine à les trouver et à les préciser. Il démontrait, par le spectacle palpitant des faits, ce qu’il y a toujours de dangereux dans ces régimes d’omnipotence sans contrôle, qui peuvent d’une heure à l’autre, par un acte de volonté mystérieuse, changer la politique extérieure ou la politique commerciale d’une nation, ce