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languir et l’opinion revenir au roi; pour réveiller les patriotes et rallier derrière eux la nation, déjà lasse du désordre, ils la contraignirent par la guerre à choisir entre la révolution et l’ancien régime. La question ainsi posée, ils savaient que, pour l’immense majorité, qui derrière les étrangers voyaient les émigrés, le choix ne saurait être douteux. C’était là un jeu aussi téméraire qu’impie : il effrayait Danton et Robespierre ; il tenta Brissot et avec lui Vergniaud et Gensonné. La gironde jeta les dés, la révolution gagna la partie, mais le gain ne fut pas pour ceux qui avaient ainsi osé jouer la France.

Si la guerre amène, en effet, le triomphe des adversaires de la constitution, les politiques de la gironde, qui se flattaient de régner sur les ruines de la royauté, se voient bientôt entraînés dans sa chute. Le pouvoir passe aux mains des plus exaltée et des moins scrupuleux, aux mains de la montagne, appuyée sur les clubs et les piques des sections. De l’anarchie sort ainsi un despotisme nouveau qui, maître du gouvernement par la violence, va s’y maintenir par la terreur. La guerre étrangère ne fait qu’aider les jacobins à achever la conquête de l’intérieur, conquête préparée de longue main et dont M. Taine a le premier marqué les rapides étapes, d’un bout du territoire à l’autre.

Dans la convention, les girondins semblent tout-puissans par le nombre, par l’ascendant du talent et de l’éloquence; mais tout cela ne leur sert à rien devant les émeutes de la populace. Moins libre encore que les assemblées précédentes, la convention, courbée sous le joug des clubs et de la commune, livre ses chefs aux vengeances populaires et commence, par les girondins, à se décimer elle-même. En attendant le jour où l’excès de la peur lui rendra le courage de se révolter, la convention mutilée devient « une machine de gouvernement au service d’une clique. » Si sévère qu’il soit pour elle, M. Taine n’est pas plus dur que le républicain Quinet pour « cette assemblée maîtresse et esclave, hardie à accepter toutes les fantaisies d’abord de la foule, puis bientôt, de quelques-uns, enfin d’un seul[1]. »

Entre les vainqueurs et les vaincus du 31 mai, il y a du reste peu de différence aux yeux de notre historien. Pour les principes, pour la foi aux abstractions, pour l’infatuation et le dédain de l’expérience, les girondins ressemblent singulièrement aux montagnards.

  1. Quinet, la Révolution, t, II, p. 17, cf. p. 9.