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fils du premier lit) un apanage royal dans sa patrie. Elle y avait déjà réussi pour le plus âgé, l’infant don Carlos, à qui le traité de 1735 avait assuré, avec le royaume des Deux-Siciles, la domination sur tout le sud de la péninsule. À tout prix elle voulait obtenir pour le second, Philippe, la même fortune dans le nord. À peine Charles VI était-il mort qu’elle demandait déjà passage par le Roussillon et la Provence pour un corps d’armée qu’elle voulait envoyer dans le Milanais ; à peine Belle-Isle nommé, elle faisait accréditer aussi un ambassadeur d’Espagne auprès de la diète électorale, ayant même rang, même qualité, mêmes instructions que celui de France. Le comte de Montijo avait ordre de s’associer à tous les efforts de Balle-Isle et de s’attacher en quelque sorte à lui pour tirer à soi la plus grosse partie possible de la curée qui se préparait. Bien loin d’avoir à craindre de ce collègue empressé aucune contradiction gênante, Belle-Isle n’avait d’avance qu’un souci, c’était de modérer l’importunité de son zèle.

C’était un genre d’embarras qu’on n’éprouvait pas avec un autre prétendant qui pourtant, lui aussi, dévorait déjà des yeux sa part dans le démembrement des possessions italiennes de l’Autriche. Celui-là, enfant de l’Italie, à portée par conséquent de satisfaire sa convoitise sur place, n’était autre que le nouveau roi de Sardaigne, dont le père était encore hier duc de Savoie, porteur aujourd’hui lui-même d’une couronne dont l’éclat récent était venu récompenser de longues traditions d’astuce et d’ambition. — « Mon fils, avait dit en mourant à son héritier le cauteleux Victor-Amédée, le Milanais est un artichaut que nous devons manger feuille à feuille. » Le moment était évidemment venu de procurer une satisfaction nouvelle à un appétit qui n’était pas diminué. Mais la maison de Savoie, placée depuis longues années entre la France et l’Autriche comme entre l’enclume et le marteau, avait de tout temps réussi à trouver son profit dans une situation où d’autres n’auraient vu qu’un péril. Elle avait toujours eu l’art de vendre son concours tour à tour aux deux belligérans, après en avoir touché le prix, et de se dégager assez à temps pour n’être jamais compromise dans l’issue de leur conflit. Le jeu lui avait trop bien profité pour qu’elle n’essayât pas de le continuer. Aussi, dès le premier jour, il fut tout à la fois évident que la cour de Turin se préparait à prendre sa part aux événemens qui s’annonçaient, et impossible de démêler quel rôle elle prétendait y jouer. Vainement, pour déchirer ce voile, Frédéric avait-il envoyé auprès de Charles-Emmanuel son confident Algarotti, qu’il croyait plus propre qu’un autre, en qualité de compatriote, à démêler l’écheveau des finesses ultramontaines : Algarotti perdait sa peine et, au bout de deux mois, il écrivait avec dépit : « Les mystères de la bonne déesse n’étaient pas plus cachés aux