M. Serpa Pinto, qui vient de nous raconter comment il est parvenu à traverser l’Afrique australe, de l’Atlantique à l’Océan indien, n’avait rien à gagner dans cette rude entreprise qu’il a menée à bonne fin[1]. Il ne s’agissait pour lui que de contenter son démon. Il habitait les Algarves, délicieux pays où les palmiers s’inclinent gracieusement sur les terrasses des maisons. « Les relations d’une société de choix, les affections de famille, mes livres d’étude et mes instrumens de physique me procuraient des heures de félicité, de ce bonheur paisible dont il est donné de jouir à si peu de mortels. Ma bergère, ma robe de chambre, mes pantoufles n’auraient pas tardé à devenir pour moi l’idéal du bien-être.» Mais il se trouva que le gouvernement portugais avait conçu le projet d’envoyer une expédition scientifique dans l’Afrique méridionale. Le major Pinto sentit son démon se réveiller, il se proposa : « Adieu le foyer domestique ! adieu la vie calme et tranquille que je menais au milieu d’êtres chéris ! Il fallait me remettre à courir le monde. »
Si le major Pinto n’avait jamais quitté ses chères Algarves, il se serait épargné de grandes fatigues et de cruelles souffrances. Mais, en revanche, il n’aurait pas eu la joie de nous dire ses hauts faits, ses exploits, la gloire qu’il a recueillie sur les redoutables plateaux de ce noir continent où les hommes ont de la laine et les moutons du poil. Raconter ce qu’on a fait et ce qu’on a vu est un plaisir qui rachète bien des angoisses, qui console de toutes les peines. Dans sa jeunesse, Henri Heine ne pouvait lire les Vies des héros de Plutarque sans éprouver un violent désir de courir bien vite prendre la poste pour devenir un grand homme. Le plus pacifique bourgeois, qui, assis dans un fauteuil moelleux, les pieds allongés sur les chenets, méditera les aventures du major Pinto, se surprendra à jeter des regards de pitié courroucée sur ses pantoufles; il se sentira des inquiétudes dans les jambes, il en viendra à se demander si, pour mériter vraiment le nom d’homme, il n’est pas nécessaire d’avoir mangé un cuissot d’antilope sous la hutte du redouté monarque de quelque peuplade nègre inconnue et couru vingt fois le risque de se noyer dans une rivière sans nom, d’être tué d’un coup de sagaie, éventré par un buffle, ou dévoré par les puissantes mâchoires d’un lion à l’œil sanglant.
La classe si intéressante des hardis explorateurs auxquels nous avons l’obligation de connaître un peu l’Afrique, qui jadis nous était plus inconnue que la lune, comprend trois variétés de voyageurs bien distinctes, les missionnaires, les savans, et les simples curieux. On ne saurait parler avec trop de respect des vrais missionnaires, de ceux que dévore le zèle de la maison du Seigneur et qui sont capables de
- ↑ Comment j’ai traversé l’Afrique depuis l’Atlantique jusqu’à l’Océan indien, par le major Serpa Pinto, ouvrage traduit d’après l’édition anglaise, collationnée sur le texte portugais, par J. Belin de Launay; Paris, 1881, Hachette.