Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réprimer la rébellion de leurs sujets et de ne recevoir contre eux ni appel, ni réclamation sans les prévenir. On dira, je le sais, que la maison de Habsbourg violait ouvertement depuis deux siècles la première de ces promesses et faisait couramment brèche à toutes les autres. Mais quelle meilleure preuve de l’inanité d’un pouvoir que la nécessité pour le rendre sérieux d’en tourner l’usage en abus? C’était un fantôme auquel l’usurpation seule donnait un corps.

Toutes les émanations de cette dignité, plus idéale que réelle, portaient le même caractère d’impuissance. Il y avait bien, par exemple, une administration impériale. La surface de l’Allemagne était répartie en dix cercles dont chacun avait à sa tête un chef désigné par l’empereur. Mais cette division administrative, assez récente d’ailleurs (puisqu’elle ne remontait pas au-delà de l’aïeul de Charles-Quint) avait l’inconvénient de ne pouvoir correspondre utilement à aucune division politique. Quand les états d’un même souverain (ce qui était l’ordinaire), étaient attribués à des cercles différens, le prince, soumis à plusieurs autorités, en profitait pour n’obéir à aucune. Le roi de Prusse, par exemple, appartenait au cercle de la Haute-Saxe comme électeur de Brandebourg, au cercle de la Basse comme duc de Magdebourg, au cercle de Westphalie comme prince de Minden et de l’Ostfrise. En face d’un si gros personnage, chacun des délégués impériaux qui auraient dû lui commander se trouvait bien petit seigneur et si l’un d’eux avait pris un jour le verbe trop haut, il aurait dû céder le lendemain devant l’ombre même d’une menace. En revanche, l’électeur de Bavière était presque seul dans son cercle, où il aurait trouvé mauvais qu’un ordre de Vienne trop impérieux prétendit l’empêcher de vivre à son aise et de gouverner à sa mode.

Il y avait bien aussi une justice impériale, une haute cour (Reichskammergericht), dont les membres étaient nommés par les divers états et le président au choix de l’empereur. On lui reconnaissait une compétence nominale pour trancher les différends qui s’élevaient entre les divers princes et recevoir même en certains cas les appels des justices locales. Mais, faute d’un moyen régulier de procurer l’exécution de ses arrêts, cette juridiction prétendue souveraine n’assurait plus aux droits des faibles (états ou individus) qu’une garantie illusoire. La lenteur de ses procédures, l’inefficacité souvent constatée de ses décisions, avaient découragé les justiciables soit de recourir à son intervention, soit de concourir à sa formation. Plus d’un état négligeait de désigner les juges dont le choix lui appartenait et plus d’un aussi oubliait de les payer après les avoir désignés, les laissant ainsi aux prises avec toutes les tentations de vénalité. Tel empereur pouvait trouver encore en eux tel jour des instrumens dociles et corrompus pour un caprice de despotisme;