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Les Ambouélas, qui habitent le même territoire que ces éternels dormeurs et qui, leur laissant les forêts, recherchent le bord des fleuves, sont de tout autres gens. Habiles agriculteurs, leurs champs de maïs paient leurs peines avec usure. Théophile Gautier prétendait qu’on peut juger du degré de civilisation où un peuple est parvenu à la manière dont il façonne un pot. Les Ambouélas font eux-mêmes leurs pots et même leurs marmites ; leurs femmes tressent des nattes, filent et tissent le coton. Plus ingénieux encore, les Ganguélas exploitent les gisemens de minerai qui abondent dans leur pays ; ces beaux forgerons fabriquent des armes à feu, et leurs fusils portent loin. Les Bihénos, qui ont transformé en un territoire habitable de vastes jungles où foisonnait l’éléphant, ont l’esprit de trafic, l’amour des voyages, des entreprises, du négoce lointain. On trouve parmi eux des capitalistes, et il n’est pas rare de rencontrer au Bihé quelque blanc échappé des prisons du littoral portugais et devenu le secrétaire d’un riche traitant nègre. M. Pinto assure qu’en matière de voyages, les Bihénos ne connaissent pas d’obstacles, que s’ils pouvaient se décider à dire où ils sont allés et à décrire ce qu’ils ont vu, les géographes de l’Europe auraient une portion moins grande de l’Afrique méridionale à laisser en blanc sur leurs cartes. Ce qui fait tort à l’opinion favorable que nous pourrions avoir des Bihénos, c’est leur goût très prononcé pour les fourmis blanches et les termites, qu’ils mangent crus, et leur passion plus déplorable encore pour la chair humaine. D’habitude ils ne sont pas anthropophages, mais dans les grandes occasions ils se régalent volontiers d’un voisin qu’ils ont (soin de mettre à la broche. Leur préférence est pour la viande de vieillard, et quand un sous ou quelque riche et puissant secoulo a des politesses à rendre, un patriarche à cheveux blancs est de tous les mets dont il puisse faire fête à ses hôtes celui qu’ils savourent le plus.

Qu’elles soient capables ou non de cultiver le maïs ou de se fabriquer des marmites, qu’elles aient l’humeur sédentaire ou l’amour des voyages, qu’elles préfèrent se nourrir de manioc ou de viande de vieillard, ce qui est commun à toutes ces tribus du continent noir, c’est qu’elles sont gouvernées par des souverains à qui tout est permis, dont tous les caprices sont sacrés, dont les fantaisies brutales ne respectent rien et qui, unissant le grotesque à l’odieux, semblent chargés d’offrir au monde la ridicule caricature du principe d’autorité. Parmi tous ces rois ou sovas dont le major Pinto eut le bonheur de faire la connaissance et dont nous voyons défiler dans son livre les réjouissantes figures, à qui faut-il donner la préférence ? Est-ce au sova Brito, affublé d’un uniforme de capitaine d’infanterie, qui laissait à nu sa sombre poitrine, et de trois jupons de perse à grands ramages, très fripés et fort crasseux ? Est-ce au roi Bilombo, dont la tunique écarlate Se mariait heureusement à un képi de chasseur ? ou réserverons-nous