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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/204

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de parole. Après tout, son cas est-il si moquable? Les fétichistes noirs ont plus de disciples que nous ne pensons. Le capitaine Burton raconte qu’il était parti de Goa sur un bâtiment qui portait à son avant l’image enluminée d’un saint, devant laquelle un lumignon brûlait Jour et nuit. Un soir que le vent fraîchissait et que la mer était houleuse, le capitaine s’aperçut que le saint n’avait plus son lumignon; il en demanda la raison au patron du navire, qui lui répondit en haussant les épaules : « J’ai découvert que ce gaillard ne vaut pas l’huile qu’il me coûte. La dernière fois, nous l’avions à bord et nous avons essuyé une bourrasque épouvantable; s’il n’empêche pas celle-ci, je le jette à l’eau et je prends sainte Catherine. » Après c.la, croirons-nous que tous les Africains soient en Afrique?

Ne soyons pas injustes envers les nègres. En dépit de leur inertie naturelle et de l’engourdissement de leur cerveau, ils se sont approprié par la seule force de leur instinct certaines inventions qui sont considérées comme l’apanage des peuples civilisés et progressifs. Leurs femmes ont poussé aussi loin que les nôtres le bel art de la coiffure ; elles frisent, elles roulent, elles crêpent leurs cheveux avec une prodigieuse dextérité et les fixent à l’aide d’un cosmétique humecté d’huile de ricin. Le major Pinto a vu dans le Huambo des têtes que les plus habiles coiffeurs de l’Europe auraient peine à reproduire, et il remarque que, s’il faut au moins trois ou quatre jours pour élever ces édifices triomphans, ils ont l’avantage de durer plusieurs mois. Dans ce même royaume de Huambo, il a découvert que chaque village possédait un casino ou kiosque de la conversation où l’on venait causer les jours de pluie, et il assure qu’on y médisait beaucoup moins du prochain que dans les salons d’Europe. En politique aussi, les nègres semblent se piquer d’être nos disciples ou nos émules. Le major constata que le sova Lobo-si, roi de Loui, plus heureux que M. de Bismarck, avait introduit dans ses états le monopole du tabac et qu’il avait un remarquable talent pour rédiger des programmes. Il constata également que ce puissant monarque avait un ministre des affaires étrangères et un président du conseil nommé Gambêla, qui passait pour être le vrai roi du pays et pour faire tout ce qui lui plaisait. Mais ce qui l’étonna plus que tout le reste, c’est qu’il découvrit en causant avec lui que le roi Chinibarandango, lorsqu’il n’était pas ivre-mort, était un profond politique qui semblait avoir lu Machiavel. Bien qu’il portât autour de son gros cou une véritable cravate d’amulettes, il ne croyait pas plus à ses fétiches qu’à son pouvoir de faire tomber la pluie; mais il lui convenait d’avoir l’air d’y croire, à la seule lin de conserver son prestige.

Sur plus d’un point les nègres s’efforcent de nous ressembler, sur plus d’un point nous leur ressemblons sans y lâcher. L’embryogénie nous apprend que le développement de l’être humain, depuis l’ovule