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demi-teinte prédomine et favorise à chaque instant ces délicieux effets de mezza-voce, cet art achevé des oppositions, — comme dans la sérénade du troisième acte, — où le chanteur excelle. Ajouterai-je qu’on éprouve d’abord une certaine surprise à voir dans cette boîte à musique de la Renaissance une partition qui se prend au sérieux, exécutée par un artiste de race ? Car, il n’y a pas à dire, Capoul fait éclater la salle ; il est là, se donnant tout entier : voix, gestes, flamme, inspiration, comme il serait sur la scène de l’Opéra chantant Aïda. Le Saïs n’est qu’un prétexte à son entraînement : l’artiste regarde au-delà de son public, au-delà de son théâtre d’occasion, et s’écrie avec Michelet : « Des ailes ! des ailes ! » Du reste, que de réminiscences dans cette partition qui doivent être chères au chanteur : la vision du paradis de Mahomet qui lui rappelle le songe de Paul et Virginie, la nourrice avec ses couplets du troisième acte, qui lui rappelle un souvenir de Roméo, vous diriez une réduction illustrée de son répertoire ! Capoul est l’action, l’âme et la vie de cette pièce, il en efface les incohérences, en fait ressortir les valeurs par son exécution passionnée et vibrante. Ce que furent Clairval à la fin du dernier siècle, Elleviou au commencement du nôtre, nous l’ignorons à peu près, mais il me semble en avoir une idée en voyant Capoul ; souvenons-nous de ses créations les plus récentes à l’Opéra-Comique, au Théâtre-Lyrique, à Favart, à la Renaissance : Maillepré, Pau], Roméo, le Saïs, évidemment, ce devait être cela ou quelque chose de bien approchant.

La musique a pris dans nos mœurs une telle place que nous nous ingénions à la trouver partout. Ce que les drames et les comédies de Shakspeare en contiennent, on l’a dit à cette place, il y a déjà bien des années[1]. Interroger également Molière sur ce point devait tenter un musicien. Le sujet, si intéressant qu’il soit, n’était pourtant point absolument neuf, attendu qu’il existe un gros livre d’une érudition énorme, tout rempli, tout farci d’anecdotes et de dates, intitulé : Molière musicien, auquel les habiles du métier ne se font point scrupule de recourir, quittes à le décrier après l’avoir dévalisé. C’est de manière épisodique, et non plus d’ensemble, que le nouveau commentateur étudie la question ; le Sicilien, ou l’Amour peintre sert de texte non-seulement à son discours, mais à sa musique, car ce charmant volume, sorti des presses de Didot, enrichi d’images du temps, enguirlandé, illustré d’arabesques, estampillé de croches et de doubles-croches, fleure l’art par toutes ses pages. « Notre côté à nous n’est pas celui de tout le monde, c’est simplement le Molière des divertissemens et des intermèdes, le Molière librettiste, collaborateur de Lulli, écrivant pour le Sicilien, ce qu’il nomme « un fragment de comédie. » Comédie à trois voix suivie de deux divertissemens chantés et dansés ; côté modeste

  1. La Musique des drames de Shakspeare, 15 janvier 1835.