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qu’on pouvait ranger sous ce titre même ce qui y était le plus étranger[1] »

Grâce à cette étrange disposition, ce n’étaient plus alors deux classes, pas même deux partis qui étaient en présence, c’étaient deux églises ou plutôt deux armées, et une inaction absolue, résultat nécessaire de cet équilibre négatif, était le seul moyen qu’on eût imaginé pour faire durer l’armistice, sinon la paix.

Ainsi à toutes les divisions sociales et politiques qui travaillaient déjà le corps germanique il fallait encore ajouter une division religieuse si persistante et si profonde qu’à un jour donné, la diète comme l’armée pouvait se partager entre protestans et catholiques, prêts encore à se jeter les uns sur les autres ; fait significatif et que je recommande à l’historien qui voudrait examiner de plus près que je ne le puis faire ici l’explication véritable de l’état d’abaissement où s’était laissée tomber la patrie allemande. Il reconnaîtrait, j’en suis sûr, que cette ténacité des dissentimens religieux était la cause principale qui condamnait l’Allemagne à végéter dans ce triste état de morcellement et de langueur, tandis que tout alentour les autres nationalités européennes se fortifiaient par une salutaire concentration de pouvoirs. Une comparaison, tirée de notre propre histoire, éclaire singulièrement ce point de vue. Nous aussi, nous avions eu comme l’Allemagne nos longues guerres de religion. Eh bien ! faites pour un moment une supposition. Imaginez qu’après nos longues luttes du XVIe siècle, Dieu n’eût pas fait don d’Henri IV à la France, ou ne lui eût pas prêté le concours du sage esprit de nos magistrats politiques. Au lieu de la ligue et de la réforme désarmées par lui et vivant en paix sous son autorité tutélaire, figurez-vous ces deux factions, moitié aristocratiques et moitié religieuses, réduites seulement à poser les armes de guerre lasse, et par épuisement, mais restant chacune dans ses places de sûreté et dans ses positions de combat. Laissez Bouillon à Sedan, Rohan à La Rochelle, en face de Mayenne, de Nemours, ou d’Épernon, maîtres à Bordeaux ou à Marseille. Qu’à Paris un monarque débile, au lieu de comprimer ces forces rebelles, souffre qu’elles s’organisent et se constituent pour traiter lui-même avec elles : devant ce réveil de l’esprit féodal retrempé par l’esprit de secte, que serait devenue, je vous le demande, l’unité française? Quel avenir, quel progrès lui eussent été réservés? Cette supposition, c’était l’histoire même de l’Allemagne. Il n’y avait point eu d’Henri IV au-delà du Rhin, et le traité de Westphalie fut le contraire de l’édit de Nantes. Ce n’était point

  1. Bidermann, Deutschlands politische, materielle und sociale Zustande im achtzehnten Jahrhundert; Leipzig, 1854, t. I, p. 12.