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avec toutes les idées, avec des complaisances pour toutes les agitations, pour toutes les réformes chimériques déguisées sous ce nom de progrès, — surtout avec les inspirations exclusives et intéressées de l’esprit de parti. C’est là cependant en qu’on fait depuis quelques années. On prétend réorganiser en désorganisant. On veut raffermir l’administration, ce qui équivaut sans doute à demander avant tout aux administrateurs les lumières, l’aptitude, l’équité impartiale, — et on commence par s’informer de l’orthodoxie des opinions; ces jours derniers encore, dans l’administration financière, on recommandait de surveiller « l’attitude politique » des fonctionnaires. Le résultat est inévitable : au lieu de fortifier l’administration, on l’affaiblit en la réduisant à n’être qu’un instrument de parti. On prétend réformer la magistrature, et pour réformer la magistrature on commence par la détruire, par la rendre au moins suspecte, au risque d’affaiblir l’idée même de la justice. On s’occupe beaucoup de l’armée, qu’on veut toujours puissante, nous en convenons ; malheureusement, on s’occupe de l’armée pour la soumettre à de perpétuels remaniemens, pour faire la guerre à ses chefs ou pour semer l’indiscipline dans ses rangs. Il s’est même trouvé un instant un ministre militaire pour se prêter à toutes ces fantaisies, pour se faire le complice de la désorganisation de l’armée, et les conséquences de cet étrange système n’ont pas tardé à se dévoiler: elles ont éclaté dans les préparatifs incohérens de l’expédition tunisienne. C’est la triste logique de cette œuvre de destruction qui s’accomplit depuis quelques années, qui s’étend un peu atout et qui n’est possible qu’à la faveur de la connivence de ceux qui n’auraient pas dû s’y prêter.

Beaucoup de républicains qui se plaignent ou s’étonnent des difficultés qu’ils rencontrent aujourd’hui ne s’aperçoivent pas, en effet, qu’ils recueillent ce qu’ils ont semé. Ils ont passé leur vie à livrer toutes les nécessités de gouvernement aux suspicions de l’opinion, à désarmer l’état de ses plus simples prérogatives, à déconsidérer l’autorité sous toutes ses formes, à favoriser les indisciplinés de l’armée, à encourager, à patronner souvent toutes les diffamations contre les fonctionnaires, contre les serviteurs publics, et ils sont maintenant exposés à se trouver en présence des déplorables résultats de cette politique de désorganisation dont le pays est, après tout, la victime. Ils peuvent comprendre que les idées fausses portent fatalement leurs fruits un jour ou l’autre, et ces fruits sont parfois réellement amers. Ce que cette politique peut produire, on vient de le voir, on le voit encore à l’heure qu’il est, d’une manière saisissante, par deux incidens qui marquent assez malheureusement cette fin d’année. Le premier de ces incidens est ce bizarre et douloureux procès qui s’est déroulé il y a quelques jours devant la cour d’assises de Paris. Un homme qui a servi le pays avec une énergique fidélité dans les circonstances les