Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de façon la candidature des mains de ces intransigeans. Il écrit des lettres passablement baroques qui courent partout, qui sont publiées en dépit des règlemens militaires. En affectant de respecter ses chefs, il fait comme s’ils n’existaient pas. Il suggère les moyens d’obtenir de M. le ministre de la guerre une permission pour qu’il puisse venir comparaître, — probablement avec son uniforme de chef de bataillon, dans les réunions électorales. Il se laisse complaisamment affubler, lui, simple officier, de ce rôle de prétendant au sénat choisi à titre de protestation contre un acte du chef de l’armée. Ce que le gouvernement propose, il le combat; d’un seul coup il passe à la commune, il se range parmi les ennemis des pouvoirs constitutionnels, et il s’est fait assurément une place aussi difficile dans l’armée, où il vivait obscurémefnt, que dans cette république régulière où il demande à entrer sous la bannière du radicalisme le plus extrême. Ce n’est pas le candidat de l’indiscipline, dit-on; qu’est-ce donc alors? Si M. le commandant Labordère a pu un jour refuser l’obéissance à ses chefs à l’occasion de faits dont il n’était pas juge, qu’il se permettait d’interpréter sans les connaître, pourquoi ses soldats n’auraient-ils pas également le droit de lui demander compte de ses ordres? Si, par hasard, il a été employé à l’expulsion manu militari des communautés religieuses, qu’aurait-il pu répondre à ceux de ses subordonnés qui auraient refusé de marcher sous prétexte qu’on voulait les « associer à un crime? » Si M. Labordère, qui apparemment a son service dans son régiment, peut faire des programmes radicaux, écrire des lettres, demander à paraître dans les réunions électorales, pourquoi son capitaine, son sous-lieutenant, le sergent-major d’une de ses compagnies n’en feraient-ils pas autant? Si, enfin, tous les membres de la famille militaire, depuis le général jusqu’au simple sous-officier, se mettent à se présenter aux élections, à protester les uns contre les autres, à faire des programmes socialistes, opportunistes ou royalistes, ce qu’il y aurait de plus simple serait d’effacer du budget ce chiffre de près de 600 millions qui pèse sur le pays, qui serait parfaitement inutile, — car ce jour-là il n’y aurait plus d’armée!

Heureusement, jusqu’ici, l’exemple de M. le commandant Labordère est isolé ou peu suivi; mais il suffit pour dévoiler ce mal de la désorganisation qui nous menace, qui se manifeste de temps à autre dans sa choquante crudité. M. le ministre de la guerre, à qui son prédécesseur à laissé de la besogne, a déjà montré de l’indépendance et de l’énergie dans ses choix, dans la défense de ses actes devant le parlement. Il a laissé voir qu’il ne craignait pas la responsabilité, en rappelant au conseil supérieur de la guerre des hommes comme M. le maréchal Canrobert, M. le général Chanzy, M. le général de Galiffet, en replaçant M. le général de Miribel à la tête de l’état-major, — sans penser