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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/242

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entendu qui conduirait les Italiens à choisir une autre capitale, et faisant une application nouvelle d’un mot souvent prononcé, elle parle à son tour d’une « papauté indépendante et libre dans une Italie libre et indépendante. » En d’autres termes, c’est une proposition de paix accompagnant les discours par lesquels Léon XIII s’est efforcé récemment de démontrer que la loi des garantie-; n’était qu’un vain palliatif, qu’elle ne pouvait suffire pour protéger la dignité et la liberté du chef de l’Église. Que les Italiens refusent de se rendre à ces suggestions, c’est bien évident. Ils sont à Rome, ils veulent y rester; ils n’admettent pas même la discussion sur ce point qui touche à leur orgueil national. Ils ne sont pas moins émus de ces manifestations pontificales qui ont eu un si grand retentissement. Les Italiens réfléchis et sages comprennent bien que l’Italie, par des raisons intérieures autant que par des considérations européennes, est la première intéressée à retenir le pape à Rome. Ils défendent autant qu’ils le peuvent la loi des garanties, et ils se montrent justement inquiets de tout ce qui pourrait remettre en doute une situation qu’ils croyaient avoir définitivement conquise; mais ce qui est fait surtout pour les émouvoir, pour leur donner à réfléchir, c’est la manière même dont cette question s’est reproduite, parce que, d’un seul coup, ces derniers incidens leur ont révélé la position d’isolement dans laquelle l’Italie s’est placée.

Chose curieuse, en effet! c’est au moment où les Italiens employaient tous les moyens pour entrer dans l’alliance austro-allemande, pour conquérir les faveurs du chancelier de Berlin, c’est à ce moment que le pape a renouvelé ses revendications, et si le pape, qui est un habile politique, a parlé comme il l’a fait, c’est qu’évidemment il s’est cru encouragé, c’est qu’il a jugé l’heure favorable, c’est qu’enfin il a compté sur quelque appui. Cet appui, plus ou moins réel, plus ou moins décisif, ne peut lui venir sérieusement que de l’Allemagne, de sorte que M. de Bismarck, placé entre l’Italie et le pape, semblerait pour le moment avoir fait son choix. Il serait avec le Vatican plutôt qu’avec le Quirinal. Les Italiens n’ont pu s’y méprendre; ils ont senti aussitôt ce qu’il y avait de grave, d’assez pénible pour eux dans cette position passablement équivoque où ils se sont placés avec leur voyage platonique à Vienne, avec leurs démarches encore plus inutiles à Berlin. Ils ont eu beau essayer de déguiser, en fins diplomates qu’ils sont, un désappointement assez naturel et prendre leur revanche par toute sorte de théories transcendantes sur les intentions présumées, sur les profonds calculs de M. de Bismarck : le fait clair et net, c’est qu’ils ont brigué une alliance qu’ils n’ont pu obtenir, c’est qu’ils ont cherché un appui qu’ils n’ont pu trouver, et que, pendant ce temps, ils ont vu reparaître à l’improviste une question qui les touche dans une de leurs parties faibles, qui leur a fait sentir leur isolement en Europe. Ils en sont là,