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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/249

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disposition, heureusement conçue au point de vue militaire, avait de plus l’avantage, au point de vue diplomatique, d’apporter, par voie d’intimidation, un appui utile à l’effet déjà épuisé que l’éloquence et les promesses de l’ambassadeur avaient pu produire sur les petits électeurs des bords du Rhin.

La question était de savoir à qui serait confiée la conduite de ces opérations militaires, ou plutôt (car il ne pouvait y avoir que ce point à débattre) quel rôle Belle-Isle garderait pour lui-même, de celui d’ambassadeur ou de celui de général en chef. On lui laissait le choix, mais Belle-Isle, tout en indiquant ses préférences, le fit dans des termes qui donnaient clairement à entendre qu’il se regardait comme aussi propre et même aussi indispensable à l’une des tâches qu’à l’autre : « Y ayant été question, dit-il, du travail commencé par moi tant en qualité d’ambassadeur que de général d’armée, je déclarai à Sa Majesté et aux ministres assemblés que la négociation était devenue d’une telle importance, si difficile, si compliquée, si étendue, et que j’y avais acquis un tel crédit, une telle considération dans l’empire, qu’étant d’ailleurs instruit de tout, au fait du local et des personnages, je n’y pouvais plus être suppléé par qui que ce fût; et, d’un autre côté, il y avait quarante ans que je servais avec zèle, avec une application suivie et des travaux infinis, que ce n’avait été que dans le point de vue de parvenir à la dignité de maréchal de France, pour, en cette qualité, commander les armées; que celle que le roi me destinait aujourd’hui était la plus glorieuse et la plus flatteuse qu’un particulier pût jamais commander, puisqu’il s’agissait de faire un empereur et de conquérir des royaumes, et qu’il n’était pas douteux que, ne consultant que mon goût et mes convenances je ne préférasse sans balancer le commandement de l’armée, mais que, connaissant la nécessité de préférence pour le bien de l’état et la négociation, il fallait ne me compter pour rien[1]. »

La réponse à cette offre désintéressée fut celle que Belle-Isle attendait. Il garda le commandement avec l’ambassade, sauf à ne commencer effectivement son rôle militaire que quand, l’élection étant faite, sa mission diplomatique serait terminée. Jusque-là la direction de l’armée resta confiée au premier des lieutenans-généraux, M. de Leuville, qui dut se maintenir en relation avec lui et suivre, autant que faire se pourrait, ses instructions. Le maréchal de Maillebois fut mis à la tête de l’armée qui devait opérer dans l’Allemagne occidentale. Ces dispositions prises, Belle-Isle repartit aussi précipitamment qu’il était venu, et, dès le 25 juillet, de retour à Francfort, il pouvait annoncer à Frédéric que les deux armées

  1. Mémoires inédits du maréchal de Belle-Isle.