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de s’être trop avancée : « Je suis sûre, disait-elle encore, que le roi accepte la proposition de la Silésie, dont je suis inconsolable. J’ai fait ordonner qu’on fasse une tentative pour les Pays-Bas, s’il voulait wider la Silésie... Avec Robinson, il n’en sera rien, car ils se sont mis en tête d’avoir la Silésie, et ils l’auront, mais, Weh denen (malheur à eux), surtout s’ils m’attrapent dans un moment de mauvaise humeur, comme je suis actuellement! Je voudrais bien vous parler. Voyez d’attraper l’occasion, si ce serait même pendant les vêpres[1]. » — « La reine est vraiment bien aimable, écrivait Robinson, et elle a plus de génie que son peu d’expérience ne l’aurait fait supposer; mais elle a trop de vivacité et elle compte trop sur le charme de ses agrémens extérieurs. » C’était une vivacité pareille ornée de beaucoup moins de charmes que devait affronter au camp prussien le diplomate condamné par sa mauvaise chance à se trouver serré entre deux caractères également impérieux. Robinson devait rejoindre Frédéric dans la petite ville de Strehlen, où était transporté son état-major. Il allait le trouver dans l’exaltation causée par les nouvelles récemment reçues de France et par la certitude d’avoir désormais, outre sa propre armée, trois autres à sa disposition. Jamais humeur ne fut moins propice à l’ouverture d’une négociation. Valori, d’ailleurs, était venu lui-même de Breslau au quartier-général sur la nouvelle de la mission anglaise et montait la garde, non sans inquiétude, pour savoir quel accueil serait fait à l’envoyé.

Quelques jours avant l’arrivée de Robinson, le roi, averti de sa venue, s’approcha de Valori pendant la manœuvre militaire à laquelle ce ministre ne manquait jamais d’assister et lui dit à l’oreille : « Je voudrais vous parler sans que nous ayons l’air d’en faire mystère. Rôdez autour de mon camp après le diner et voyez si vous trouvez un moment favorable. » Le dîner fini, en effet, il s’arrangea de manière à prendre sans affectation Valori à part : « Robinson arrive, lui dit-il, et lord Hyndfort m’a fait connaître ce qu’il apporte. On m’offre un équivalent pour la Silésie dans les Pays-Bas. Cette proposition est un piège pour me brouiller avec vous ; mais afin de laisser au roi tout le temps d’agir, je demanderai à faire mes réflexions et je leur ferai des propositions si fortes qu’ils ne pourront les accepter. Je leur demanderai les Pays-Bas catholiques tout entiers. J’espère que le roi me saura gré de cette communication. Cependant, il fait bien d’avoir mis une armée sur la Meuse pour s’opposer au roi d’Angleterre, car je vous avertis que ce roi est de plus en plus

  1. D’Arneth, t. I, p. 226, 236, 395, 394. — Coxe, House of Austria, t. III, ch. XCIX, p. 415 et suiv. — Raumer, Beitrage zur neuen Geschichte. — M. d’Arneth a conservé scrupuleusement, dans ces billets intimes, l’orthographe fautive et le français incorrect de la reine. J’ai dû faire comme lui.