racines plus profondes qu’on ne supposait, soit qu’un sentiment généreux émût cette nation de chevaliers, à l’aspect de l’illustre infortunée qui venait se jeter dans ses bras, l’accueil fait à la princesse fut meilleur que ne s’y attendaient les conseillers méfians dont elle était accompagnée. La diète ouverte presque aussitôt après son arrivée éleva bien tout de suite la prétention de se faire restituer la plupart des privilèges abolis, mais, d’un commun accord, les deux chambres qui la composaient convinrent de ne pas engager le débat avant d’avoir donné une preuve éclatante de leur loyauté, en laissant le primat qui les présidait placer la couronne de Saint-Étienne sur la tête de sa jeune héritière.
La fête du couronnement, célébrée par un dimanche d’été, sous un glorieux soleil, au milieu d’une joie très générale, fut une journée pleine d’éclat et d’émotion. Dès l’aube, la foule remplissait les rues et la noblesse accourait de tous les points du royaume pour faire cortège au carrosse de la souveraine. Rien n’égalait la variété, la splendeur du costume des cavaliers et du harnachement de leurs chevaux. L’œil était ébloui par le mélange des étoffes brillantes, des fourrures rares, des joyaux étincelans. La reine elle-même, quittant ses habits de deuil, s’était laissé magnifiquement orner de toutes les pierreries de l’écrin royal, qui ne semblaient que la parure naturelle de sa beauté. L’archevêque l’attendait à l’entrée de la cathédrale et procéda à l’office divin sans omettre aucune des cérémonies consacrées par des usages séculaires. Ce fut un charme mêlé d’attendrissement de voir cette généreuse, mais faible femme se prêter sans sourire et sans sourciller à tous les rites belliqueux institués jadis pour perpétuer les souvenirs et raviver les exemples des rudes champions de la foi qui avaient guerroyé contre l’infidèle. D’une voix affaiblie par l’âge et brisée par les larmes, le vieux prélat redit la formule du serment dont on n’avait retranché que la clause ridicule qui prévoyait et permettait la rébellion. A son tour, d’une voix douce, mais ferme, la princesse, agenouillée devant lui, promit de défendre l’église et de respecter les libertés de ses sujets. On la revêtit alors du manteau qu’avait porté le saint roi, et la poignée de son antique épée fut placée dans cette main délicate qui avait peine à l’étreindre. Puis le diadème royal fut posé sur ce front si pur et parut mériter, à cet instant plus que jamais, le nom de couronne angélique que lui donnait la tradition populaire[1].
L’office terminé, le cortège, toujours suivant le cérémonial obligé,
- ↑ Voltaire, dans le Siècle de Louis XV, a prétendu que la clause qui prévoyait le cas de révolte avait été rétablie par Marie-Thérèse à son avènement et explique ainsi le dévoûment que lui témoignaient les Hongrois. Son erreur a été démontrée par Coxe, qui cite le texte du serment. M. d’Arneth confirme cette réfutation, t. I, p. 271.