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qui s’était établie à la baie des Iles. On ne cessait de vanter les jolis havres, les forêts d’arbres gigantesques, d’une valeur incomparable pour les constructions navales, la merveilleuse fertilité du sol. Et puis, c’était le climat salubre, tempéré, délicieux que les missionnaires louaient sans réserve après une longue expérience. De pareils avis souvent commentés semblèrent devoir amener l’effet qu’on voulait obtenir : donner en Angleterre l’idée d’une colonisation en règle. Dans l’année 1825, à l’époque même des guerres acharnées que se livraient les aborigènes, une compagnie où figuraient des noms aristocratiques vint à se constituer en vue de coloniser des parties de la Nouvelle-Zélande. Dans ce dessein furent achetées de vastes étendues de terre au voisinage de la Hokianga et de la Houraki. La compagnie ne prit aucune consistance ; il n’y eut point d’émigrans ; les projets s’évanouirent.

Les missionnaires, sans force pour refréner les vices et empêcher les violences qui se commettaient sous leurs yeux et dans plusieurs ports de la Nouvelle-Zélande, eurent une idée incroyable : ils incitèrent les chefs maoris de la baie des Iles à implorer la protection du roi de la Grande-Bretagne ; en termes plus vrais, ils rédigèrent une adresse obtenant de ces chefs, au nombre de treize, ou la signature ou la marque qui la représente. La dérision était complète : treize sur ce vaste territoire où les maîtres des tribus indépendantes se comptaient par centaines. Il fallait un prétexte pour toucher le gouvernement de la Grande-Bretagne; le prétexte fut trouvé. On se souvient qu’au moment du passage de la corvette la Favorite, en 1831, on avait répandu le bruit que le capitaine Laplace entendait prendre possession du pays au nom de son souverain le roi Louis-Philippe[1]. Voici, dans cette comédie, en quel langage s’exprimaient les treize insulaires pour être défendus contre les ennemis du dedans ou du dehors : «Roi Guillaume; nous, les chefs de la Nouvelle-Zélande, assemblés à Keri-Keri, nous t’écrivons, ayant appris que tu es le grand chef de l’autre côté des mers... Nous te prions d’être notre ami et le gardien de nos îles.. — Nous avons entendu dire que la tribu de Marion est sur le point de s’emparer de notre sol...» Dans l’esprit des aborigènes, la tribu de Marion signifie le peuple français. Les historiens britanniques de la Nouvelle-Zélande affirment que les insulaires, pleins de sympathie pour les Anglais, nourrissent une extrême antipathie à l’égard des Français ; ils ont tant renouvelé l’assertion que peut-être y accordent-ils confiance eux-mêmes. L’adresse au roi Guillaume IV, transmise par le révérend Williams Yate, fut appuyée en Angleterre par la société de l’église des missions. Elle arriva aux mains du ministre des colonies.

  1. New-Zealand, between the years 1831 and 1837, by J. S. Polack; London, 1838.