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le gouvernement devait fournir à titre de prêt, pour un voyage de vingt-quatre à trente mois, un navire de 550 tonneaux largement pourvu de vivres et d’approvisionnemens de tout genre. Le 14 décembre, le ministre prescrivait au préfet maritime de Rochefort les dispositions à prendre pour l’armement et l’expédition à la Nouvelle-Zélande de la gabare le Comte-de-Paris, qui allait être confiée au capitaine Langlois. Au 15 février 1840, l’Aube, sous le commandement du capitaine Lavaud, retenue dans le port de Brest par les vents contraires, n’attendait que l’instant propice pour devancer le Comte-de-Paris.

Les préparatifs de l’expédition française n’avaient eu que trop de retentissement. Les vaisseaux étaient attendus dans la Mer du Sud longtemps avant d’apparaître dans les eaux de la Nouvelle-Zélande. Comme nous l’apprennent les officiers des corvettes commandées par Dumont d’Urville, dès les premiers jours de l’année 1840, à Sidney, à Hobart-Town, on parlait des colons français qui bientôt débarqueraient à la péninsule de Banks. Les Anglais jetaient feu et flamme contre l’ambition, contre la rapacité des Français. Les officiers de l’Astrolabe et de la Zélée restaient incrédules ; mais en arrivant à la baie d’Akaroa, il fallut se convaincre ; on attendait réellement le Comte-de-Paris, qui allait jeter sur la plage une cinquantaine de familles destinées à mourir de misère. A voir le pays couvert de forêts, on jugeait rude pour de nouveaux débarqués la tâche de défricher sans autre secours que leurs bras[1]. Nos officiers, remarquant autour d’Akaroa la faible étendue de terre propre à la culture, avaient peine à concevoir l’idée de choisir une pareille contrée pour une colonie. Ils pensaient que la beauté du port avait exercé une séduction. En réalité, on ne s’était pas donné le souci de prendre tous les renseignemens utiles. Dès que l’Astrolabe et la Zélée parurent à la baie des Iles, le bruit se répandit aux alentours que les corvettes portant les colons francais venaient à la Nouvelle-Zélande malgré la prise de possession par l’Angleterre. Un ancien marin français établi dans le pays, très animé contre les Anglais, assura au capitaine d’Urville que l’impression avait été vive; en même temps, il lui apprit la formation d’une compagnie française, ayant à sa tête le capitaliste Aguado, pour l’exploitation de l’île Te-Wahi-Pounamou.

L’Aube arrive à la baie des Iles dans la nuit du 10 au 11 juillet et le capitaine Lavaud reçoit l’avis de la prise de possession, au nom de la reine du royaume-uni de la Grande-Bretagne, des trois îles composant le groupe connu sous le nom de Nouvelle-Zélande. Sur l’emplacement où l’on doit bâtir une ville, Russell-Town, au

  1. Note de M. Demas, Voyage au pôle sud.