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Si, malgré des mouvemens évidens de mauvaise humeur et des velléités de résistance, la majorité se décide à tout accepter, le scrutin de liste comme tout le reste, c’est le parlement qui se soumet, et on ne voit pas bien comment, en dépit de toutes les promesses, on pourrait éviter une dissolution prochaine, une réélection des deux chambres dans les conditions nouvelles. Si la majorité, piquée dans son orgueil, se laisse aller à la résistance, refuse d’inscrire le scrutin de liste dans la constitution, c’est M. le président du conseil qui se déclare obligé de se retirer. Il ne dissimule pas qu’il attache sa fortune ministérielle à ces projets de révision portés aujourd’hui même à la chambre, qu’il est prêt à abandonner le pouvoir si on lui refuse ce qu’il demande comme un acte de confiance. Il se démettra, et il est trop clair qu’un nouveau ministère n’aurait pas une existence facile avec M. Gambetta redevenu chef de parti dans la chambre, retrouvant dans l’opposition la popularité et l’ascendant. Que M. le président du conseil se retire ou que la chambre se soumette, dans les deux cas c’est la chance de crises nouvelles dont la France n’avait certes pas besoin, qu’elle ne demandait pas, fût-ce pour avoir cette réforme constitutionnelle et ce scrutin de liste, qui l’ont laissée, jusqu’ici, il faut l’avouer, assez indifférente.

Mieux eût valu, assurément, détourner du pays ces chances de crises souvent périlleuses, tout au moins fatigantes, et rien n’eût été plus facile s’il y avait eu plus d’esprit politique dans la chambre, si le gouvernement, à son tour, avait montré plus de maturité, plus d’empire sur lui-même. Qu’y avait-il de plus simple que la position de M. Gambetta au moment où il est arrivé au pouvoir? On attendait trop de lui, c’est possible, et c’est toujours un danger d’éveiller des espérances qu’on ne peut satisfaire, d’avoir autour de soi une certaine opinion factice qui s’attend à de l’imprévu. M. le président du conseil, dans tous les cas, entrait au gouvernement avec une mesure suffisante d’autorité et de crédit pour rester maître de ses résolutions. Il n’avait qu’à former un ministère plus sérieux d’abord, à laisser provisoirement sommeiller toutes ces questions constitutionnelles qu’aucune nécessité pressante n’imposait, et à rester le chef actif, sérieux d’un gouvernement occupé des affaires qui intéressent le pays, des finances, des traités de commerce qui sont en suspens, de l’armée qui attend une réorganisation, une direction. Avec cela M. le président du conseil aurait eu peut-être là une existence ministérielle moins retentissante; il aurait pu durer, puisqu’il avait une majorité dans les deux chambres, et pour un homme politique sérieux, c’est quelque chose de durer, de ne pas passer comme un ouragan aux affaires, de ne pas s’exposer à se voir emporté dans une bourrasque après deux mois. Avant de s’engager dans ses grandes aventures, M. Gambetta, pour son propre intérêt, aurait mieux fait de méditer ce que M. Guizot disait, il y a bien longtemps déjà : « Pour se faire pardonner le pouvoir,