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établir une sorte d’influence soldatesque en se donnant pour les représentans et les porte-drapeaux de ce qu’ils appellent le « parti national. » Un moment on a cru obtenir des chefs une apparence de soumission en leur accordant une partie de ce qu’ils demandaient, en appelant au pouvoir Cherif-Pacha, en convoquant une assemblée des notables, qui est depuis quelques semaines réunie au Caire. Le fait est que la sédition est restée organisée, toujours menaçante, et, récemment encore, un journal anglais publiait une lettre qui ne venait pas précisément, comme on l’a dit d’abord, du chef le plus entreprenant de l’insurrection, d’Arabi-Bey lui-même, mais qui était du moins la traduction fidèle de ses idées, l’exposé des revendications du « parti national. «Chose importante! dans le programme, les intérêts du parti national « restaient confiés à l’armée, seule puissance dans le pays qui puisse et qui veuille protéger les libertés naissantes... » Tant que les notables n’auront pas fait leur œuvre d’affranchissement, « les chefs militaires continueront à faire leur devoir de tuteurs armés du peuple sans armes... » Voilà qui est clair et ce qu’il y a de plus caractéristique, c’est que, depuis, le chef des « tuteurs armés du peuple, » Arabi-Bey lui-même, a été appelé comme sous-secrétaire d’état au ministère de la guerre. En d’autres termes, c’est la sédition militaire prenant possession du pouvoir, dominant jusqu’au bout le faible vice-roi et se chargeant sans doute aussi de conduire l’assemblée des notables en sa qualité de guide et de tutrice du« parti national. » C’est plus ou moins le rétablissement d’une sorte de domination des mameluks à Alexandrie et au Caire. Le gouvernement égyptien s’est hâté sans doute de faire dire en Europe qu’il n’y avait rien de grave, que toutes les difficultés étaient écartées. Il est malheureusement trop clair qu’avec tout cela, l’Egypte reste livrée à toutes les chances de troubles intérieurs, et les troubles intérieurs de l’Egypte ont cela d’inquiétant qu’ils appellent les complications extérieures; ils ont pour conséquence l’intervention avouée ou déguisée de tous ceux qui ont un intérêt dans les affaires de cette partie de l’Orient, — à commencer par la Porte elle-même.

La Porte n’a pas tant tardé à tourner ses regards vers Alexandrie. Ce n’est point d’aujourd’hui qu’elle cherche le moyen d’attester d’une façon plus directe son droit de suzeraineté, de ressaisir une autorité plus complète sur l’ancien pachalik de Mehemet-Ali. Rejetée des Balkans, elle croit trouver des dédommagemens au Caire, et dans les nouveaux conseils turcs, ce n’est là encore qu’une partie de l’action que la Porte voudrait pouvoir nouer dans tout le monde musulman, à Tunis indirectement, à Tripoli et ailleurs. C’est vraisemblablement avec l’espoir de trouver à Berlin un certain appui pour ses projets que le sultan envoyait récemment une ambassade extraordinaire et qu’il introduit de plus en plus les influences allemandes, les fonctionnaires