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monseigneur, d’un fait qui marque également et la franchise du roi et la prodigieuse alarme de la cour de Vienne... Ce matin, dans le temps que le roi de Prusse mettait son armée en bataille pour la mettre en colonne, lui à cheval, et la faire marcher par sa gauche, arrive un courrier de lord Hyndfort. J’avais l’honneur d’être auprès de lui, et, après avoir lu la dépêche et la pièce qu’elle contenait, il m’appela et me dit tout haut : « Tenez, monsieur de Valori, lisez cela; je crois que ces gens deviennent fous. » C’était un projet de traité qui n’avait pas seulement le titre de projet, mais qui était couché de manière à n’avoir que la signature à y mettre. La reine de Hongrie y cède toute la Basse-Silésie, la ville de Breslau comprise : la Neisse doit en faire la limite... En faveur de ce sacrifice, on exige de Sa Majesté prussienne qu’elle donne sa voix électorale au grand-duc, qu’elle entre en liaison avec les électeurs de Saxe et de Hanovre en faveur de la cour de Vienne, et qu’elle joindra dix mille hommes aux troupes de M. de Neipperg, et qu’il s’engagera de toutes ses forces à trouver des dédommagemens aux dépens des ennemis de cette cour : en un mot, de défendre la pragmatique. Mylord Hyndfort accompagne cette pièce d’une lettre, disant qu’il a les pleins pouvoirs pour terminer et qu’il a une lettre du grand-duc pour Sa Majesté, dont il ne doit faire usage que selon le bon plaisir de Sadite Majesté. Le roi de Prusse m’a dit qu’il était curieux de voir cette lettre, qu’il la ferait venir et répondrait honnêtement. — Mais, a-t-il ajouté, je lui témoignerai toute ma surprise et ne lui laisserai aucun doute qu’il est nécessaire qu’il satisfasse la France et la Bavière. — Je supprime, monseigneur, toutes les réflexions et les plaisanteries que ce prince m’a fait; mais je ne dois pas supprimer les réflexions à faire sur la nature de son procédé ; il en use avec une franchise qui ne laisse rien à désirer sur ce qu’il a promis. Il m’a dit seulement qu’il fallait qu’on eût bien mauvaise opinion de sa sincérité ou de sa politique pour revenir si souvent à la charge. « Ou ils me croient un fourbe, dit-il, ou le plus malhabile du monde. — Je ne conçois rien, ajoutait-il encore quelques jours après, avant de donner l’audience qu’il devait accorder à lord Hyndfort, à cette opiniâtreté du roi d’Angleterre... Je croyais m’être expliqué assez clairement pour être délivré de ces importunités. — Et puis, disait-il encore par moment, est-ce que le roi de France est vraiment si désintéressé? est-ce qu’il ne veut tirer aucun avantage de la guerre qu’il soutient? est-ce que nous ne ferons rien pour lui[1] ? »

Enfin, après l’audience accordée, le ministre anglais faisait encore

  1. Valori à Belle Isle, 30 août, 11-22 septembre 1741. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)