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Quand les choses parlaient si haut, peu importe de savoir si à ces indices matériels de la trahison se joignirent des indiscrétions calculées de la part des généraux ou des diplomates autrichiens. Frédéric l’a beaucoup dit et rien n’est plus vraisemblable. Ces agens auraient eu mauvaise grâce, en effet, à nier contre l’évidence un fait qui leur était si avantageux. Aussi, en un clin d’œil, la nouvelle que le roi de Prusse faussait compagnie à l’alliance franco-bavaroise fut-elle répandue comme une fusée d’un bout de l’Europe à l’autre, et rien n’égale le désarroi que la seule annonce d’une telle infidélité jeta dans les mouvemens militaires, aussi bien que dans les opérations diplomatiques des alliés.

D’abord l’électeur, qui était en pleine marche sur Prague, s’arrêta tout intimidé, craignant de trouver en face de lui ou sur ses derrières, à la place de l’auxiliaire qu’il venait chercher, une armée ennemie sur laquelle il n’avait pas compté. Il était hanté aussi par la pensée qu’en son absence, la reine de Hongrie, désormais libre de ses mouvemens, allait pousser une pointe sur Munich. — « Comment faire des conquêtes, écrivait-il avec désespoir, quand ma maison brûle? » — Et comme son expédition était d’ailleurs très pauvrement conduite, ce brusque temps d’arrêt avait pour effet de laisser toutes ses troupes, et principalement les françaises, dispersées sur une ligne beaucoup trop étendue et à cheval sur les deux rives du Danube dans une position impossible à garder.

Belle-Isle, moins facile à alarmer, n’était pourtant pas moins déconcerté. Au premier moment, quand les bruits sinistres se répandirent, il se refusa absolument à y ajouter foi, et il donnait pour motif (effectivement très légitime) de son incrédulité, l’envoi fait aux agens prussiens des pouvoirs nécessaires pour accéder au traité de partage des états de l’Autriche. Cet envoi était certain et datait, on l’a vu, du jour même de l’entrevue secrète et confidentielle de Frédéric avec les généraux autrichiens à Klein-Schnellendorf, de sorte que le traité lui-même fut signé le 4 novembre, deux jours après la conquête fictive de Neisse, et au moment où commençait la retraite convenue du maréchal Neipperg. Un pareil degré de mauvaise foi, un tel luxe de machiavélisme paraissaient impossibles à supposer; Belle-Isle, surtout, ne pouvait se résigner à reconnaître qu’il eût été à ce point dupe de vaines flatteries. Il s’obstinait donc à donner de la conduite du roi de Prusse des explications qu’il s’efforçait de croire satisfaisantes. Mais force lui était de convenir que le mal produit par ces fâcheuses apparences était énorme. « Tous les esprits sont changés depuis quinze jours, écrivait-il dès le 27 octobre. J’ai

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  1. t. I, p. 398. — La circulaire diplomatique ne se trouve pas dans la correspondance prussienne; elle est insérée sous la date du 4 novembre dans les dépêches de Valori.