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monsieur, le malheur que je redoute le plus, aimant cent fois mieux que mon livre soit anéanti que mis dans un état à déshonorer ma mémoire.

J’avais toujours espéré me mettre à couvert des manœuvres de ces messieurs en ne m’attaquant jamais à eux, en n’en parlant jamais dans mes livres; il est très sûr que celui-ci même, dans lequel il n’y a pas un mot d’eux ni de leurs collèges ne saurait leur nuire en aucune sorte; mais c’est pour le seul plaisir de faire du mal qu’ils m’en font, et j’apprends à mes dépens qu’à moins de leur être absolument vendu, l’on ne gagne rien à les ménager.

Je ne sais, monsieur, ce qu’il faudra faire en cette occasion, et je suis dans un abattement qui me met hors d’état d’écrire et d’agir. Je puis parer peut-être par une protestation publique à l’affront qu’un jour des sentimens jésuitiques soient mis sous mon nom; mais faut-il perdre absolument mon livre, et n’y a-t-il aucun moyen, après qu’ils ont eu tout le temps d’abuser de mon manuscrit, de le ravoir en rendant tout et rompant le marché? Daignez, monsieur, faire pour moi dans cette affaire ce que la justice et l’humanité vous inspireront. Comme je n’ai point d’autres intérêts que ceux de la vérité et de l’équité, je redeviens tranquille après les avoir remis entre vos mains. Je vous salue. Monsieur, avec un profond respect


M. de Malesherbes était à peine remis de l’étonnement que devait lui causer cette lettre qu’il en recevait à deux jours d’intervalle une seconde, ainsi conçue :


Ah! monsieur, j’ai fait une abomination. J’en tremble, ou plutôt je l’espère, car il vaut cent fois mieux que je sois un fou, un étourdi digne de votre disgrâce, et qu’il reste un homme de bien de plus sur la terre. Rien n’est changé depuis avant-hier, mais tout prend une autre face à mes yeux et je ne vois plus que des indications équivoques où je croyais voir les preuves les plus claires. Ah! qu’il est cruel pour un solitaire, malade et triste, d’avoir une imagination déréglée et de ne rien apprendre de ce qui l’intéresse! S’il en est temps encore, je vous demande, monsieur, le secret sur ma précédente lettre jusqu’à plus ample éclaircissement.

Je viens de recevoir l’écrit que vous avez pris la peine de lire, mais dans le profond sentiment de mon étourderie, je ne puis m’occuper que du soin de la réparer.


S’il ne s’agissait que de publier des lettres de Rousseau, nous en pourrions citer d’autres également inédites, mais il faudrait imposer au lecteur le travail, et c’en serait un, de suivre l’affaire un peu embrouillée de la publication de l’Emile. Mais ce qui est intéressant