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comprendre? Si l’on écrit, c’est pour être entendu; si l’on parle, c’est pour être écouté. Qu’il y ait eu jadis un ton léger, spirituel, épigrammatique et que ce ton soit celui des salons, je le veux bien; qu’on le regrette et qu’on ne se console pas plus de l’avoir vu disparaître que d’avoir vu passer les élégances et les raffinemens d’ancienne cour, j’y consens; il n’est pas moins vrai qu’il ne s’agit pas pour l’écrivain de jouer comme au plus fin avec son lecteur et de lui donner à deviner ce qu’il pense. L’erreur de l’abbé napolitain, d’ailleurs, est assez familière aux hommes d’état, ou pour mieux dire aux hommes d’action. Ils ne savent pas quelle habitude impérieuse, ou plutôt invincible, les spéculatifs se font de leur liberté de penser et d’écrire; que la liberté d’écrire est la continuation naturelle de la liberté de penser; et qu’il n’y a de vraie liberté de penser qu’à condition de l’entière liberté d’écrire. On peut se proposer de limiter l’exercice de cette liberté; c’est une autre question; elle est de l’ordre politique. Mais ce qu’il ne faut pas prétendre, c’est que les lois restrictives de la liberté d’écrire seraient favorables à l’art même d’écrire. Il n’y a de lois favorables à l’art d’écrire que celles qui sont tirées du fond même de l’art d’écrire, j’entends celles qui se proposent d’aider l’écrivain à toucher plus facilement et plus à plein le but de l’art d’écrire, qui est la communication, non pas même de la vérité, car qui possède la vérité? mais de la pensée.

C’est pourquoi nous ne nous refuserons pas à plaindre la triste situation de l’écrivain sous l’ancien régime, mais aussi nous permettra-t-on de ne pas nous apitoyer plus qu’il ne faudrait, et de dégager, du milieu des exagérations où l’on se laisse aller si naturellement en pareil sujet, l’opinion moyenne.

Il n’y a, par exemple, ni rigueurs, ni contrainte, ni tyrannie qui puisse excuser, ou justifier, à plus forte raison, la bassesse du caractère. Tel est bien le cas de Voltaire. Si dangereux qu’il lui fût d’écrire, on ne peut pas lui passer d’avoir décliné la responsabilité de ses écrits. Il est permis de se plaindre de ne pas pouvoir agir, et permis encore d’essayer de surmonter, ou de tourner, ou de renverser les obstacles qui nous empêchent d’agir; il n’est pas permis de soutenir que l’on n’agit pas quand on agit, et moins permis encore de se dérober par le mensonge à la responsabilité de ses actes; mais ce qui ne peut être pardonné, c’est quand on se fait une politique de la détourner sui-les autres. Le cas de Diderot ne diffère pas beaucoup de celui de Voltaire. Une grande partie de la-vie de Diderot s’est écoulé à vouloir persuader au gouvernement et à la religion. que ni la religion ni le gouvernement n’avaient à redouter quoi que ce soit de l’entreprise encyclopédique, et à défaut du ministère et du clergé, peu s’en fallut, comme on l’a pu voir, qu’il ne persuadât le directeur