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équivaut à la suppression de l’enseignement des beaux-arts. En effet, avec sa bibliothèque, ses collections, ses cours d’esthétique et d’histoire de l’art, l’École des beaux-arts devient une succursale de la Bibliothèque nationale, une dépendance du Louvre, une annexe du Collège de France: elle cesse d’être une école des beaux-arts.

A la vérité, M. le ministre des arts, qui ne sait pas très bien ce qu’il veut, se défend de vouloir supprimer à l’école l’enseignement pratique. Tantôt il déclare qu’il maintiendra seulement les cours élémentaires, mais tantôt il prétend créer des ateliers sur des bases toutes nouvelles. Au lieu de diminuer l’enseignement pratique supérieur, il l’agrandira. Les élèves ne trouvaient dans chaque atelier qu’un seul professeur, partisan de la doctrine académique, imbu d’idées étroites et exclusives. Ils y trouveront désormais un roulement de dix ou douze professeurs choisis entre les artistes les plus dissemblables par la manière, la méthode, les idées esthétiques. Un mois, ce sera M. Carolus Duran qui dirigera les élèves, un autre, ce sera M. Puvis de Chavannes; d’après le tour de roulement, à M. Cabanel succédera M. Manet. Ainsi l’école sera en rapport avec les aspirations de l’art nouveau. Ainsi sera aboli l’enseignement dit officiel. Ainsi sera créée l’indépendance de l’enseignement de l’art. De même que l’état ne reconnaît aucune religion d’état, de même, il ne reconnaît aucune esthétique d’état et il n’impose aucun enseignement esthétique.

Ce principe, fort discutable dans la théorie, est inapplicable dans la pratique. Que divers maîtres enseignent à la fois diverses choses à un même élève, cela est fort bien. Mais que divers maîtres enseignent à la fois une même chose à un même élève, cela est détestable. C’est l’enseignement par morceaux, l’enseignement en mosaïque. Quels résultats en obtenir? La tâche est rendue impossible aux professeurs. Ne faut-il pas, pour que ses leçons soient fécondes, que le maître connaisse l’élève, le suive d’un bout à l’autre de l’année, pénètre ses dispositions, le conduise par des exercices gradués vers le but que lui indiquent les aptitudes qu’il a découvertes? Or un professeur qui ne verra un élève qu’un mois dans une année ne pourra pas être à la hauteur de sa mission. D’autre part, les élèves se trouveront fort empêchés. Pour l’étude du modèle vivant, pour la composition, un maître donnera tel conseil, indiquera telle correction qu’un autre maître jugera inutiles ou nuisibles. Celui-ci verra une qualité où celui-là verra un défaut. Dès lors, quel professeur l’élève écoutera-t-il, à quel maître se vouera-t-il? L’indépendance de l’art, idée juste peut-être au point de vue des récompenses que décerne l’état aux artistes, est une idée absolument fausse au point de vue de l’enseignement. Décréter ici l’indépendance, c’est décréter le chaos. Que feront les élèves en