Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


20 mars.

Ce matin, j’ai trouvé Mme la duchesse de Berry dans une grande agitation. Elle tenait en main un journal qui passe pour ministériel, et elle m’a lu un petit article dans lequel il est dit que le gouvernement est décidé à laisser la princesse à Blaye jusqu’à ses couches. On ajoute que ce fait accompli servira de réfutation aux calomnies des légitimistes et qu’il importe d’avoir un argument de ce genre à leur opposer. Cet article, qui est peut-être un simple ballon d’essai, a fortement irrité la princesse. Elle s’est écriée : « — Je ne conçois pas que l’on se serve de ce misérable prétexte pour me retenir ici au mépris de tous les droits. Ma déclaration de mariage clôt mon rôle politique. Que puis-je faire maintenant ? Qu’importe l’opinion des fous ou des imbéciles, comme messieurs tels et tels ? Puis-je les empêcher de parler et d’écrire ? Je demande seulement la faveur de vivre en repos à Palerme ou dans tout autre point du royaume des Deux-Siciles, sous la protection et la responsabilité de mon frère le roi de Naples. Refuserait-on cette garantie ? Mais je suis en puissance de mari, mon fils sera majeur au mois de septembre prochain, je n’ai plus rien à faire, et d’ailleurs, quand je pourrais agir, je ne le voudrais pas. Je suis lasse de cette vie agitée ; il me faut du repos, du soleil et de l’oubli. »

— Mais, Madame, le gouvernement a sans doute des raisons majeures pour désirer avoir en sa possession un acte authentique prouvant l’accouchement de votre altesse royale. Les registres de l’état civil en France sont tenus de façon à ne pas laisser de doutes dans les esprits les plus récalcitrans, car, à moins d’être fou, on ne peut arguer de faux contre une déclaration de naissance faite suivant les formes légales et reçue publiquement par les autorités compétentes.

— Croit-on que tout cela me fera dire ce que je veux taire ? On se trompe, je vous le jure, je ne dirai rien. Que m’importe à moi l’état civil de France ? Mon enfant n’est pas Français, il n’est pas destiné à exercer des droits civils ou politiques à Paris ; aussi n’ai-je pas à m’occuper de ce que l’on inscrira sur votre registre.

— Cependant, Madame, il faudra bien qu’il soit fait une déclaration quelconque, par vous ou par l’accoucheur qui vous donnera ses soins. Le silence, en pareil cas, est impossible ; il constituerait une suppression d’enfant qui pourrait avoir, plus tard, de graves conséquences.

— Docteur, je suis mariée ; un autre que moi aura à réparer ces