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quand on a fait un pacte avec elle, quand on a reçu de sa main, moyennant un billet en forme, quelques-unes de ces balles magiques qui ne manquent jamais le but et frappent en plein cœur les aigles planant dans l’espace, on ne se dégage pas impunément de son alliance. A vrai dire, on ne cesse d’être son chef que pour devenir son prisonnier, et souvent on est à la fois l’un et l’autre.

Au fond, les auteurs des brochures vaticanes doutent de l’efficacité de leurs démonstrations; si solides ou si captieux que soient leurs argumens, si persuasive que soit leur éloquence, ils n’osent se flatter de convaincre le roi et de faire entendre raison à ses conseillers. Ce qui le prouve, c’est ce qui se passe au Vatican, où tout semble annoncer des projets de voyage. Le pape Léon XIII a fait dresser l’inventaire des trésors qu’il entend dérober à la rapacité de ses ennemis; il a déjà pris le bâton du pèlerin, il se tient prêt à partir. Où ira-t-il ? Sera-ce à Fulda, à Inspruck, à Miramar, à La Valette? Il est à présumer qu’il n’ira pas bien loin, qu’il tiendra à ne mettre que peu d’espace entre les événemens et lui. Les gens bien informés assurent qu’il a jeté son dévolu et arrêté son choix sur le plus petit royaume de l’univers, sur la principauté de Monaco. Sans doute la maison de jeu serait fermée, les croupiers prendraient le large, et l’on n’y perdrait rien. Posséder un pape est un honneur qui procure d’excellentes recettes.

On parle beaucoup à Rome de ces préparatifs de voyage, et les avis sont partagés. Les uns disent qu’il s’agit d’un projet sérieux, que si on ne part pas demain, on partira dans huit jours. Les autres assurent qu’il en est rien, qu’on fait semblant de vouloir partir pour savoir ce que le monde en dira. Nous n’admettons ni l’une ni l’autre de ces versions. Il nous paraît que le projet est sérieux, mais qu’on attend quelque cas extrême pour l’exécuter. Quiconque connaît le pape Léon XIII le sait également incapable d’un coup de tête ou d’une puérile comédie. Quand il s’est plaint que sa situation était intolérable, il voulait dire qu’elle était précaire, à la merci des accidens, et qu’il prévoit tel changement qui l’obligerait à quitter Rome, car on prévoit beaucoup au Vatican. La curie romaine considère le roi Humbert comme ne s’appartenant plus, comme étant dès cette heure le prisonnier de ce qu’elle appelle « la révolution latente, » qui demain peut-être sera la révolution triomphante. Les chambres italiennes viennent de voter une réforme électorale qui accroîtra notablement le nombre des électeurs, qui le portera de six cent mille à deux millions, et Léon XIII appréhende que cette réforme ne tourne au profit du parti radical, qu’elle rendrait tout-puissant. C’en serait fait dès lors de la politique de ménagemens et de transaction ou même de simple politesse, à laquelle succéderaient les provocations, les procédés brutaux, la guerre à outrance. Le prisonnier du Vatican est résolu à ne pas s’exposer aux insultes, aux avanies!