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confusions ? C’est là justement la question à l’heure qu’il est, et pour ainsi dire la moralité de cette crise qui se dénoue à peine.

Rien sans doute n’est inexplicable dans les affaires publiques, et la mésaventure que vient d’éprouver M. Gambetta a sa raison d’être comme tout le reste. La vérité est que M. Gambetta a trop attendu pour se mettre au maniement pratique des affaires, qu’il a trop traîné dans l’opposition, dans les tactiques de parti, dans les agitations tribunitiennes, et qu’en arrivant récemment au pouvoir, il a un peu trop ressemblé à un chef improvisé entrant dans le gouvernement comme en pays conquis. C’est toujours l’homme qui a certes des dons vigoureux, de la puissance de parole, de l’entrain et même parfois de l’habileté, mais qui n’a pas mûri, qui n’a ni les idées bien nettes, ni l’esprit de conduite, ni l’expérience. Assurément, même dans ce dernier passage aux affaires, il a montré par plus d’un acte qu’il pouvait avoir un sérieux sentiment politique, qu’il savait au besoin se mettre au-dessus des vulgaires préjugés de parti. Malheureusement ce qu’il a fait, on le sent trop, il l’a fait un peu au hasard, sans suite, presque sans intention, par la fantaisie d’un esprit facile et ouvert. Il a eu un jour la bonne pensée de rappeler M. le maréchal Canrobert au conseil supérieur de la guerre, M, le général de Miribel à l’état-major de l’armée ; mais en même temps il enlevait à la Banque un administrateur éminent, M. Denormandie, qui est même depuis longtemps rallié à la république. Il envoyait M. de Chaudordy à Saint-Pétersbourg et, d’un autre côté, il plaçait M. Floquet à la préfecture de la Seine. Quelle liaison y avait-il entre ces actes ? de quelle politique pouvaient-ils être l’expression ? Évidemment c’était d’un chef de cabinet sans façon, et le résultat le plus clair est que M. Gambetta n’a pas eu même l’avantage de ses bonnes inspirations. Il n’a fait qu’exciter les colères de ses amis, et il a pu entendre M. Andrieux lui reprocher, non sans âpreté, d’avoir « placé en de certaines mains le dépôt partiel de la puissance publique. » M. Gambetta ne s’est pas élevé à une politique supérieure qui aurait pu en imposer à son parti, et il a échoué parce qu’il est resté un homme d’expédiens, non de gouvernement. Il est tombé, sans doute, en partie pour cela, — parce que ces deux mois de règne n’ont été après tout qu’une déception, — et il est tombé aussi évidemment sous cette accusation de pouvoir personnel qui ne lui a point été épargnée jusque dans la commission des trente-trois. C’est qu’en effet, si M. Gambetta n’est pas le dictateur que rêvent les imaginations effarées, s’il ne médite pas des 18 brumaire, il se plaît tout au moins à se donner les airs, les façons et presque les ridicules d’une semi-dictature où il y a plus d’ostentation que d’autorité sérieuse, il a le goût du pouvoir personnel, des combinaisons personnelles. Il a voulu être seul le vrai ministre, il l’a été ; il y a si bien réussi que le ministère auquel il avait donné son