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l’existence d’une assemblée modératrice, éclairée, chargée de contenir, de réprimer au besoin les impétuosités de la vie publique.

Que, dans d’autres circonstances, dans des conditions plus favorables de maturité et de réflexion, on puisse songer à reformer, à simplifier quelques parties de l’organisation du sénat, rien de mieux assurément. Ce jour-là on pourrait même aller jusqu’à un système plus hardi, plus rationnel que toutes les combinaisons imaginées par le chef du ministère du 14 novembre. Ce qui, dans tous les cas, reste plus que jamais évident, c’est la nécessité d’une première chambre libre et indépendante, suffisamment forte, dans l’intérêt même de la république si on veut la faire vivre. M. Gambetta, qui, pour un opportuniste, a soulevé si inopportunément toutes ces questions inutiles ou prématurées, M. Gambetta ne s’y est pas trompé ; il n’a point hésité à reconnaître ce qu’il y a de bienfaisant, d’efficace dans ce ressort d’une assemblée modératrice au sein d’une démocratie qui aspire à se régulariser, — « ne fût-ce que pour donner le temps de la réflexion à tout le monde. » M. Gambetta sait parler fort sagement quand il le veut ; il a parlé l’autre jour presque en conservateur, — et, au demeurant, en dehors de toutes les démonstrations théoriques, sait-on ce qui relève le plus sérieusement l’autorité de cette assemblée, qu’on ne dédaigne pas de flatter, dont on se plaît à reconnaître l’utilité au moment même où on cherche à l’ébranler ? C’est tout ce qui se passe depuis quelque temps ; c’est, selon le mot de M. Gambetta lui-même, « l’expérience de chaque jour, l’expérience actuelle, celle que nous faisons depuis quinze jours. » Pourquoi ces agitations, ces troubles du monde parlementaire restent-ils en définitive assez restreints, assez peu menaçans ? Pourquoi n’ont-ils pas jusqu’ici inquiété bien sérieusement l’opinion ? C’est précisément peut-être parce que le sénat existe ; c’est parce qu’on sait que, si la chambre se laissait aller à voter des projets, à proposer des actes qui ressembleraient à une usurpation ou à une fantaisie révolutionnaire, le sénat les arrêterait au passage. Les grands réformateurs qui ne voient le progrès que dans le retour en arrière, vers le passé révolutionnaire, ces grands réformateurs parlent sans cesse de ramener la France républicaine au régime d’une assemblée unique. Que serait-elle cette assemblée unique ? Serait-elle la reproduction ou l’extension de la chambre qui existe aujourd’hui ? Certes, s’il y a une chose tristement évidente, c’est le morcellement, l’incohérence morale et la médiocrité de cette chambre qui se débat, à l’heure qu’il est, au palais Bourbon. S’il n’y avait que cela, s’il n’existait pas quelque autre garantie, d’autres institutions, croit-on que le pays se sentirait bien rassuré ? se figure-t-on que ce spectacle d’agitation fébrile et stérile soit de nature à donner à la France l’envie passionnée de revenir le plus tôt possible au régime des assemblées uniques ? La vérité est que, pendant ces quinze jours qui viennent de s’écouler,