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administrative des autres provinces de l’empire élaboré par la Porte ottomane, elle en a modifié un grand nombre d’articles pour diminuer l’autorité des valis au profit des méghiz. Elle a eu tort de ne pas comprendre qu’il existe une différence profonde, radicale entre la Roumélie orientale à demi émancipée, livrée presque tout entière aux chrétiens, et le reste de la Turquie, où l’élément turc continue à dominer. L’administration étant complètement refondue dans la Roumélie orientale, et effectivement livrée aux populations, celles-ci arriveront peut-être à la surveiller d’une manière sérieuse ; mais partout où l’administration restera turque, la surveillance des populations ne sera jamais qu’un leurre. Il est impossible qu’un méghiz composé en grande partie de chrétiens résiste à un vali turc ; il préférera toujours lui céder et partager le profit de ses rapines que d’essayer contre lui une opposition où il serait brisé. Si l’œuvre de la commission internationale était appliquée, elle aurait pour résultat d’enlever toute responsabilité aux gouverneurs, de leur donner des complices qui couvriraient tous leurs actes et qui eux-mêmes seraient entièrement irresponsables, de leur assurer par conséquent une impunité absolue. Il vaudrait beaucoup mieux leur accorder une très grande puissance, mais en les soumettant à un contrôle sévère, implacable, qui les atteindrait à chaque faute. La difficulté, je le sais bien, serait de constituer ce contrôle. On ne peut pas le créer sur place en province, puisque tout s’y passe en famille, puisque Turcs et chrétiens s’y liguent trop aisément pour exploiter le désordre qu’il s’agirait de réprimer. Si la moralité doit jamais se répandre dans l’empire ottoman, — ce qui d’ailleurs est bien peu probable, — c’est d’en haut qu’elle viendra. Les institutions parlementaires de Midhat-Pacha, dont on s’est tant moqué et qui prêtaient en effet si fort à la raillerie lorsqu’on les envisageait au point de vue purement politique, étaient peut-être le seul remède à l’anarchie administrative de la Turquie. L’événement a prouvé que, dans ces chambres improvisées, nommées à la hâte et presque sans choix, il se trouvait cependant des hommes assez courageux pour signaler du haut d’une tribune qui ne manquait pas de retentissement les fautes et les crimes du dernier des valis perdu aux extrémités de l’empire. Des voix hardies, éloquentes même, proclamaient la nécessité de réformes radicales, appuyant leurs revendications sur des exemples malheureusement trop nombreux et trop probans. Il n’aurait fallu rien moins que le bruit prolongé de ces discussions dont l’Europe était témoin pour effrayer les fonctionnaires turcs et pour leur donner un sentiment efficace de la responsabilité. C’est ce qu’on craignait à Constantinople, c’est ce qui troublait profondément l’immense et toute-puissante bureaucratie qui se presse autour du palais pour profiter des faiblesses du souverain et pour