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offre un nombre de havaley qui correspond à la somme qu’elle leur demande, à l’intérêt de cette somme, à la commission qu’elle leur promet. C’est aux banquiers ensuite à s’efforcer de tirer parti de leurs havaley en s’adressant aux gouverneurs et aux percepteurs de province pour obtenir qu’ils soient acquittés.

Si j’ai réussi à exposer nettement le régime des havaley, on voit tout de suite à quelles spéculations, à quelle corruption il donne lieu. C’est le régime des affectations, des revenus-hypothèques généralisé et étendu à tous les impôts de l’empire. Il n’y a pas à proprement parler en Turquie de trésor public qui comprenne l’ensemble des recettes du pays et où chacun puise suivant ses besoins et ses droits ; il y a une série de ressources spéciales sur lesquelles ministères et particuliers ont des prétentions plus ou moins légitimes et que tout le monde se dispute avec acharnement. Pas de caisse unique et centrale, mais une quantité de caisses locales n’ayant entre elles aucun lien. La première conséquence de cette décentralisation financière est de donner aux gouverneurs et aux percepteurs de province, aux maîtres des caisses locales, une puissance absolue, sans contrôle. Le gouvernement ne se fait aucun scrupule de jeter sur le marché deux ou trois fois plus de havaley qu’il n’y a réellement de revenus. Une administration a besoin tout à coup d’un crédit imprévu, soit ! on lui accorde des havaley sur des impôts qui avaient été alloués déjà à une autre administration. La plus habile des deux l’emportera. Des fonctionnaires réclament leur traitement qu’ils n’ont pas touché depuis plusieurs mois, peut-être depuis plusieurs années ; l’abus est si criant qu’on commence à protester en Europe et que des plaintes diplomatiques arrivent de toutes parts ; soit encore ! Voilà des havaley qui ont déjà reçu une autre destination. Chacun s’en tirera comme il pourra. Pressé par une nécessité urgente, le gouvernement s’adresse à des banquiers qui demandent des garanties : soit toujours ! En cherchant bien dans le livre des havaley, on trouvera sans nul doute des contributions sur lesquelles pourront porter les garanties demandées. À la vérité, les contributions sont déjà grevées de havaley, mais les affaires se font vite. Les banquiers n’auront ni le loisir, ni les moyens de s’en assurer ; ils prendront leurs havaley et, quand ils les auront, ils sauront mieux que personne par quels procédés ils arriveront à se les faire payer. À certains momens, les havaley subissent une dépréciation formidable, comme une monnaie fiduciaire multipliée outre mesure, ou connue les effets et les billets d’une maison qui n’inspire plus de confiance, car on sait que toutes les ressources sont obérées. En tous temps, ils sont l’objet d’un commerce et d’un marchandage effrénés. Comme ce sont les gouverneurs et les percepteurs de province qui finissent