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du même genre ont été démenties depuis deux siècles. Je me borne à dire que sa régénération est impossible. Si elle continue à vivre, ce sera de sa vie actuelle. Elle sera ce qu’elle est, elle ne sera jamais autre chose. Ses qualités même l’empêcheront de se relever. On loue sans cesse, et avec raison, la résignation étonnante, le courage tranquille, la douceur merveilleuse des Turcs. Mais ces vertus, si admirables qu’elles soient, feront la perte de la race et de l’empire. Comment veut-on qu’un gouvernement aussi détestable que celui du sultan se modifie tant que les sujets d’Abdul-Hamid le supporteront sans se plaindre, sans protester, presque sans gémir ? On a dit que les peuples avaient les gouvernemens qu’ils méritaient ; c’est une vérité qui demanderait à être expliquée ; parfois les vices des gouvernemens tiennent au trop bon caractère des gouvernés. Quand les premiers n’ont aucune peur des seconds, quand ils savent qu’ils peuvent tout se permettre, bien sûrs qu’on ne leur demandera compte de rien, ils perdent toute retenue et se lancent sans hésiter dans les plus épouvantables excès. La crainte d’une révolution est quelquefois la meilleure des garanties politiques. J’ai rencontré beaucoup d’observateurs éclairés qui avaient perdu toute confiance dans le salut de la Turquie en voyant avec quel fatalisme les Turcs s’étaient résignés aux malheurs qui ont suivi la dernière guerre. Tant que la guerre a duré, une panique terrible a régné à Constantinople. La ville était sans cesse remplie d’irréguliers aux mines féroces, d’affreux bachi-bouzouks, de bandits de toute sorte dont l’aspect seul répandait dans les âmes une profonde terreur. Grisées par la lutte, ces bandes indisciplinées proféraient les plus cruelles menaces. Leur nombre était si grand, leur férocité paraissait si dangereuse, que tout le monde s’attendait, après la défaite, à une révolution contre le sultan et au massacre général des chrétiens. Les ambassades avaient déjà pris leurs précautions pour sauver leurs nationaux. Les hommes qui connaissaient ou qui croyaient le mieux connaître l’Orient annonçaient une catastrophe effroyable. Songez que des volontaires étaient arrivés d’Asie par milliers, qu’ils avaient supporté avec un héroïsme sublime la campagne la plus dure, qu’ils avaient touché du doigt la victoire et qu’ils ne l’avaient perdue que par l’incapacité de leurs généraux et les folies du palais ! Songez encore qu’on n’avait ni argent ni vivres à leur donner, qu’il fallait les licencier sans la moindre indemnité, qu’on ne pouvait même pas les retransporter dans leurs provinces et qu’en y rentrant d’ailleurs ils ne devaient y trouver que la famine ! Comment ne pas croire à de sanglantes représailles ? Eh bien ! À peine le traité de San-Stefano était-il signé que les soldats et les officiers russes se sont, mis à se promener en vainqueurs dans Constantinople