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que nos destinées nous ont fait et qu’il faut ménager sous peine de mort? N’avertit-elle point les gouvernemens, monarchies, aristocraties, démocraties, des dangers qui leur sont propres et ne leur montre-t-elle pas la pente où ils ont coutume de rouler vers l’abîme? Ne nous instruit-elle pas à la modération, à la patience, en développant devant nous la longue succession des temps où chaque jour a trouvé sa peine, où les jours qui ont anticipé sur la peine des autres ont été marqués par de si efroyables tempêtes? N’expose-t-elle point les relations des peuples les uns avec les autres, marquant dans le monde la place de chacun et la sphère de son action? Mais, passons. Ce qui ne peut être contesté, c’est que l’histoire doit être la grande inspiratrice de l’éducation nationale.

Je parlais d’intérêts, de passions et d’idées : idées et passions agitent la tête du petit nombre; le grand nombre des hommes n’a souci que des intérêts. Il n’est pas sage d’exiger d’eux tant de devoirs sans même essayer de les leur faire aimer. Qui donc enseigne en France ce qu’est la patrie française? Ce n’est pas la famille, où il n’y a plus d’autorité, plus de discipline, plus d’enseignement moral, ni la société, où l’on ne parle des devoirs civiques que pour les railler. C’est donc à l’école de dire aux Français ce qu’est la France; qu’elle le dise avec autorité, avec persuasion, avec amour. Elle mesurera son enseignement au temps et aux forces des écoliers. Pourtant elle repoussera les conseils de ceux qui disent : « Négligez les vieilleries. Que nous importent Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens mêmes? Nous datons d’un siècle à peine. Commencez à notre date. » Belle méthode, pour former des esprits solides et calmes que de les emprisonner dans un siècle de luttes ardentes, où tout besoin veut être assouvi et toute haine satisfaite sur l’heure! Méthode prudente, que de donner la révolution pour un point de départ et non pour une conclusion, que d’exposer à l’admiration des enfans l’unique spectacle de révoltes, même légitimes, et de les induire à croire qu’un bon Français doit prendre les Tuileries une fois au moins dans sa vie, deux fois s’il est possible, si bien que, les Tuileries détruites, il ait envie quelque jour de prendre d’assaut, pour ne pas démériter, l’Elysée ou le Palais-Bourbon ! Ne pas enseigner le passé! mais il y a dans le passé une poésie dont nous avons besoin pour vivre. L’homme du peuple en France, le paysan surtout, est l’homme le plus prosaïque du monde. Il n’a point la foi du protestant de Poméranie, de Hesse ou de Wurtemberg, qui contient en elle la poésie des souvenirs bibliques et ce sentiment élevé que donne le contact avec le divin. Il oublie nos légendes et nos vieux contes et remplace par les refrains orduriers ou grotesques venus de Paris les airs mélancoliques où l’écho du passé se prolongeait.