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d’application par le dehors et le même abus du placage. Concevez-vous cependant quelque chose de plus artificiel?

Et ce n’est pas tout. C’est que, non-seulement M. de Goncourt ne sait pas employer ses notes, mais il y a mieux ou pis, c’est qu’il ne sait pas les prendre. « Je veux donc, nous dit-il dans l’espèce de préface en forme de circulaire qu’il a mise à son dernier roman, je veux faire un roman qui sera simplement une étude physiologique et psychologique de jeune fille, élevée dans la serre chaude d’une capitale, un roman bâti sur des documens humains... Eh bien! au moment de me mettre à ce travail, je trouve que les livres écrits sur les femmes par les hommes manquent... manquent de la collaboration féminine. » Et, là-dessus, de demander aux lectrices de la Faustin « un rien de leur aide et de leur confiance; » sur un morceau» de papier un peu de leur pensée en train de se ressouvenir, » et la révélation de« toute l’inconnue féminilité du tréfond de la femme. » On adressera les manuscrits à l’éditeur Charpentier : la préface ne dit pas s’ils seront rendus. Ainsi, voilà un psychologue, à ce que l’on prétend, qui n’a pas l’air de se douter que le propre du ressouvenir est de déformer la réalité des choses, et que c’est par cette porte une fois entr’ouverte que la fantaisie de l’imagination et le mensonge du rêve se glissent pour altérer l’expression vraie de la vérité. Le souvenir! mais c’est la projection de l’éternelle illusion sur la réalité passée ! Et voilà de plus un styliste qui ne sait pas encore qu’un document apprêté cesse d’être un document où l’on puisse avoir confiance, et que, si par hasard quelque femme incomprise répond à cet appel, sa première, involontaire et fatale préoccupation sera d’arranger ses confidences pour l’impression, je veux dire pour la gloriole de les retrouver tels quels dans le roman futur de M. de Goncourt. Et voilà enfin un sensitif qui ne sent pas que, même sous la protection de l’anonyme, aucune femme, de celles dont les révélations seraient le plus curieuses, n’aura l’impudeur de livrer ainsi le plus secret d’elle-même à l’indiscrétion du romancier de la Faustin. Peut-on se faire une plus fausse idée des conditions de l’observation? et n’avais-je pas raison de dire que M. de Goncourt était aussi loin du vrai naturalisme par le procédé de sa composition que par la singularité de ses conceptions et l’étrangeté de son style ?

Or, nous l’avons dit et nous le répétons, une doctrine qui, pas plus que les autres doctrines esthétiques, n’est née spontanément, mais qui, comme toutes les autres, est sortie de l’observation, de la comparaison et de la classification des œuvres; une doctrine dont l’histoire de l’art hollandais et du roman anglais est la démonstration plusieurs fois séculaire; une doctrine assurément incomplète et, à beaucoup d’égards, très étroite, mais cependant, avec un peu d’artifice, dans la formule de laquelle on ferait entrer la peinture vénitienne, nous ne dirons pas que