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D’un autre côté, si le trésor est dans une condition prospère et que l’état puisse abaisser certains tarifs, croit-on que ces réductions seront opérées avec plus d’intelligence, d’équité et d’impartialité par acte législatif ou ministériel ? On parle de l’arbitraire des compagnies, de leurs machinations égoïstes, des inégalités et des maléfices de toute sorte que recèle le fameux Livret-Chaix ! Un tarif placé dans les mains d’un ministre et d’un parlement nous en ferait voir bien d’autres ! Toutes les régions, toutes les industries donneraient l’assaut au tarif, soit pour obtenir des conditions plus avantageuses, soit pour réclamer contre les faveurs qui seraient accordées à leurs concurrens. Le Midi lutterait contre le Nord, l’Est contre l’Ouest : la houille, le coton, les vins, etc. demanderaient la préférence pour des services plus accélérés et pour des baisses de prix. Les ministères, les sénateurs, les députés, tous les conseils électifs seraient criblés de pétitions et de plaintes. Auquel de ces intérêts donner satisfaction ? La réponse n’est pas douteuse. Les faveurs iront aux amis, elles se refuseront aux adversaires et aux tièdes. La politique dictera les décisions. Nous aurons, en un mot, un tarif électoral. Ce n’est point faire ici la critique des institutions ou des hommes qui nous gouvernent : il n’y a, dans notre pensée, que la simple constatation d’un résultat infaillible qui se produirait sous tous les gouvernemens. Ainsi le veut la politique. Eh bien ! il est facile d’imaginer que, dans de telles conditions, le tarif officiel ne tarderait pas à devenir plus arbitraire, plus partial que ne pourra jamais l’être le tarif rédigé par une compagnie.

Comment, enfin, ne pas tenir compte de la condition qui serait faite aux transports, pour le service et pour les litiges, si l’exploitation passait entre les mains de l’état ? Les relations du public avec les chemins de fer se multiplient et s’étendent à l’infini : de là des contestations, des transactions ou des procès. Ces litiges encombrent les tribunaux de commerce, les cours d’appel, et même la cour de cassation. S’il est onéreux pour les plaideurs de se présenter à la barre contre des compagnies puissantes qui ont le temps et les moyens de parcourir tous les degrés de juridiction, les frais et les risques ne seraient-ils pas beaucoup plus grands quand il faudrait plaider contre l’état ? De même, dans les rapports ordinaires de service, le public aurait-il profit à voir remplacer par des fonctionnaires les agens des compagnies ? Sans mettre en doute l’excellent esprit qui anime les fonctionnaires, leur dévoûment et leur sentiment de justice, on doit reconnaître que, pour obtenir réparation de leurs fautes ou de leurs erreurs, il faut avoir cent fois raison, tandis que le redressement des torts imputés aux agens des compagnies est à la fois plus assuré et plus prompt. Plaider contre l’état, réclamer contre les faits et gestes des fonctionnaires de l’état, c’est le