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le gouverneur de la Bactriane un de ces khans uzbecks que nous a si bien décrits, au XVIe siècle, le grand voyageur anglais Jenkinson.[1]. Ce barbare, sans merci, sans foi, sans scrupule, commandait encore à plus de trente mille hommes. Imprégné des habitudes cruelles et des mœurs farouches de la nation au milieu de laquelle il vivait, Bessus tramait depuis longtemps sa trahison. Il avait réussi à y associer, non-seulement un satrape à demi sauvage comme lui, mais, ce qui était bien autrement difficile et scandaleux, un vrai Perse, Nabarzane, le rival d’Artabaze. Un seul obstacle arrêtait les conspirateurs dans l’exécution de leur plan homicide : quel parti prendraient les mercenaires grecs ? On ne pouvait exploiter avec eux, comme avec Nabarzane, ces divisions de cour que la prospérité comprime et qu’on voit éclater soudain quand viennent les mauvais jours. Jetés au milieu d’un peuple étranger, n’attendant guère de pardon des compatriotes qu’ils avaient osé combattre, ces stipendiés, au nombre de quatre mille, ne connaissaient plus d’autre patrie que leur camp, d’autre devoir que l’engagement contracté envers le souverain qui les avait pris à sa solde. Ils possédaient, avec toutes les vertus guerrières qui distinguaient alors les enfans de la Grèce, la fidélité inébranlable de cette légion suisse qu’on vit jusqu’au dernier moment prête à verser son sang sans arrière-pensée pour Louis XVI. Leur chef, Patron, justement inquiet de l’attitude arrogante de Bessus, avait plus d’une fois fait presser en secret l’infortuné Darius de se réfugier dans les rangs des seuls bataillons qui lui restassent invariablement dévoués. Consulté par le roi, Artabaze se montra favorable à ces ouvertures. La chose, évidemment, avait ses dangers ; elle en écartait de plus grands. L’irrésolution d’un monarque à bon droit soupçonneux éventa les négociations ; les Grecs se sentirent menacés aussitôt qu’ils apprirent que leur projet était découvert. Ils ne songèrent plus alors qu’à leur propre sûreté et se dirigèrent avec Artabaze du côté de l’Hyrcanie. Délivré de la présence de ces courageux mercenaires, Bessus n’avait plus aucun ménagement à garder : sacré pour les Perses, le sang de Cyrus imposait peu à ces bandes nomades des Bactriens, des Dranges, des Arachotes, qui n’assistèrent jamais que de très loin aux pompes solennelles de la cour. Bessus trouve en eux des satellites tout prêts à seconder son usurpation. Il se saisit à l’instant de la personne de Darius, le fait jeter sur un des chariots du convoi et précipite sa course vers le fond du désert.

Alexandre, averti, s’était remis en marche ; de Rhagès, il se porte dans une seule journée aux Pyles caspiennes. Si les Pyles caspiennes, ainsi que le suppose, et qu’à mon avis le démontre M, Ferrier, sont

  1. Voyez, dans la Revue du 1er octobre 1876, les Marins du XVIe siècle.