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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/164

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Antipater se sentit menacé ; Plutarque l’accuse formellement d’avoir dès cette époque, noué une alliance secrète avec les Étoliens. Antipater fût-il resté fidèle et résigné, qu’Alexandre ne l’en aurait pas moins tenu pour suspect ; il l’avait trop sérieusement offensé pour ne pas songer à se prémunir contre sa rancune. Le roi de Macédoine traversait une des phases presque inévitables du pouvoir absolu : la méfiance. Dans le doute universel qui l’envahit alors, le vit-on, à l’exemple des tyrans de Sicile, montrer une humeur sombre, prendre un aspect farouche, s’entourer tout à coup de gardes et de soupçons ? La trahison n’eut pas la puissance de transformer à ce point Alexandre ; elle disposa sans doute aux explosions violentes ce caractère impétueux à l’excès, elle ne changea rien aux allures ouvertes du plus séduisant des despotes. Ce dieu, dont la majesté naturelle imposait sans effort un respect superstitieux aux vaincus, ce profond politique dans lequel les Grecs s’obstinaient à ne voir qu’un conquérant vulgaire, enivré d’un orgueil touchant à la folie, resta ainsi, pour le peuple de soldats qui poussait son char, l’idole toujours radieuse que, longtemps avant l’oracle de Jupiter Ammon, il avait pris l’habitude d’adorer. Les déceptions, si cruelles, si répétées qu’elles fussent, ne mirent pas une ride sur le front souriant du héros ; elles lui inspirèrent seulement une haine plus vigoureuse encore contre les violateurs de la foi jurée.


IV

Tous les obstacles se sont évanouis à l’approche d’Alexandre ; Bessus, après Darius, a succombé et, des côtes de Syrie à la Bactriane, la route est devenue assez sûre pour que la moindre troupe puisse rejoindre avec sécurité l’armée de Macédoine. Quelle nouvelle campagne pourra donc entreprendre Alexandre ? Le premier devoir d’un roi de Perse consiste à prévenir les incursions des Scythes : héritier de Darius Codoman, Alexandre va reprendre l’œuvre de refoulement, là où ses grands prédécesseurs, Cyrus, fils de Cambyse, et Darius, fils d’Hystaspe, l’ont laissée. Les deux années passées dans la Sogdiane sont les deux années les plus laborieuses de son règne. « Comme une peau de bœuf sèche et racornie qu’on presse sur un point et qui se redresse aux autres bouts, » la Bactriane et la Sogdiane, dès qu’elles ne sentent plus peser sur elles le pied du conquérant, se lèvent et reprennent les armes. Il fallut, pour les comprimer, l’établissement de colonies militaires. Alexandre en fondait partout, et l’on ne sait en vérité ce qu’il faut le. plus admirer chez lui, de l’héroïsme guerrier ou de l’activité créatrice. La clémence l’avait servi en Perse ; dans ces contrées barbares, il se vit plus d’une fois contraint d’employer comme moyen de