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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/17

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par exemple, que, pendant toute la durée des réjouissances, le résident de France, M. de Tilly, et le futur empereur lui-même n’avaient que deux préoccupations. L’une était d’empêcher leur hôte de dépenser tous les revenus de son petit état, et même par anticipation ceux de son successeur, dans un luxe sans mesure d’habits et de luminaires, prodigalité dont quelques parcelles, sous forme de subsides, auraient fort accommodé le trésor de l’armée bavaroise ; l’autre était la crainte qu’en prenant lui-même aux divertissemens une part trop animée, le vieillard cacochyme ne déterminât quelque rechute d’une maladie grave dont il était atteint ; son trépas inopportun, arrivant avant l’élection faite, eût été un retard fâcheux qui pouvait encore tout compromettre.

« L’électeur, écrivait le résident, a donné à chacune de ses fille » neuf habits qui sont, pour ainsi dire, tout massifs d’or et d’argent : il en a au moins autant pour lui-même, tous plus riches les uns que les autres, il en change tous les jours. La dépense de bougies qu’il fait est immense… et le roi lui donnerait le village de Landau pour en retrancher une qu’il ne l’accepterait pas. » Puis, au grand bal qui eut lieu le soir des noces, il n’y eut pas moyen de le détourner de se faire mettre dans une chaise roulante, poussée par deux chambellans, et de suivre ainsi toutes les figures d’une polonaise dansée aux flambeaux. Heureusement, le plaisir tue rarement même les vieillards, et le bon électeur vécut assez pour que son envoyer, pût prendre part quelques jours après (le 27 janvier) à la proclamation faite au son du canon et des acclamations populaires de Charles VII, roi des Romains, le premier empereur d’Allemagne qui, depuis des siècles, n’eût point appartenu à la descendance de Rodolphe de Habsbourg[1].

Pour le coup, Belle-Isle était excusable de se croire passé au rang des grands hommes et de se placer déjà devant les regards de la postérité comme le génie qui avait mis le sceau aux grandes destinées de la monarchie française. C’est avec un enthousiasme sincère qu’il écrivait au roi lui-même : « Sire, le succès couronne les entreprises de Votre Majesté. La perfection de ce grand ouvrage comble de gloire son règne et assure l’avenir et le repos de sa couronne. » Au cardinal il donnait quelques détails qui relevaient encore son triomphe : « — Je ne dois pas omettre, disait-il, d’informer Votre Éminence que, dans le moment que l’empereur est venu à la fenêtre de l’hôtel-de-ville et s’est montré au peuple… il s’est élevé des acclamations infinies. J’avais l’honneur d’être à une fenêtre avec l’impératrice, qui y était incognito. L’empereur, ému de ces

  1. Tilly à Amelot. Manheim, 21 octobre 1741, 21 janvier 1742. (Correspondance du Palatinat. — — Ministère des affaires étrangères.)