Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne nous reste rien des travaux de l’adolescent chez Van Balen. Ces premiers essais durent être remarquables, puisque, dès 1615, Rubens, dès lors surchargé de travaux, et n’aimant point à former des débutans, le prit avec lui comme collaborateur autant que comme élève. Van Dyck alla vivre dans le somptueux palais de la place de Meir, que le maître triomphant venait de bâtir, au milieu des statues antiques et des tableaux vénitiens rapportés d’Italie, dans la compagnie des riches seigneurs, des lettrés spirituels, des belles femmes qui s’y réunissaient. C’est là qu’il respira ardemment l’amour des sociétés choisies, des divertissemens élégans, de l’existence fastueuse et magnifique, amour qui devait toute sa vie le tourmenter et l’enivrer. Il s’y trouvait avec d’autres jeunes gens, presque tous appelés à devenir célèbres. Jordaens, Van Thulden, G. de Crayer, Quellin, Jean van Hoock, Diepenbeck, Van Egmont, Van Mol, sur lesquels il prit vite le pas. Rubens, à ce moment, par un coup de génie, renouvelait l’art de graver comme il avait renouvelé l’art de peindre. En faisant reproduire son œuvre sous ses yeux par une troupe de graveurs enthousiastes sur des planches de grande dimension, il leur apprenait à lutter hardiment, par le mouvement des tailles, avec le mouvement des couleurs, et à transposer l’harmonie des valeurs sur la toile en une harmonie correspondante sur le papier, au lieu de traduire, comme on l’avait presque toujours fait jusqu’alors, même pour les plus grands Vénitiens, des couleurs par des formes et des tons par des contours. Pour mieux expliquer sa pensée à ses graveurs, il commençait par traduire ses symphonies éclatantes en grisailles monochromes ; souvent il chargea Van Dyck d’exécuter ces grisailles ; souvent aussi il lui faisait préparer, sur ses esquisses, des cartons entiers. C’est, dit-on, Van Dyck qui ébaucha en grande partie l’Histoire de Décius, en six toiles, qui est aujourd’hui l’orgueil de la galerie Lichtenstein, à Vienne. Un pareil exercice sous un pareil maître devait promptement développer toutes les facultés inventives du jeune homme. Comment s’étonner qu’en sortant des mains de Rubens, Van Dyck, encore tout enivré des hautes conceptions qu’il avait concouru à exprimer, se soit cru d’abord destiné à la grande peinture monumentale et qu’il n’ait jamais pu, jusqu’à son dernier jour, renoncer à ces premières ambitions ?

Rubens, toutefois, ne s’y était pas trompé. Discernant d’abord avec une clairvoyance expérimentée dans son élève favori ce qui n’était que souplesse d’esprit de ce qui était le fond même du tempérament, il l’engagea pour sa gloire à s’adonner au portrait. Les biographes du XVIIIe siècle ont vu dans ce conseil la preuve d’une jalousie honteuse. Les biographes d’aujourd’hui n’y voient avec raison qu’un témoignage de judicieuse amitié, La noblesse du caractère de Rubens, dans ses rapports avec Van Dyck, ressort d’ailleurs