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commençait la leçon d’étiquette et de belles manières. « Quand j’entrais dans la salle, je trouvais tous mes frères rangés de front et leur gouverneur avec leurs gentilshommes postés derrière eux à côté dans le même ordre. J’étais obligée par ordonnance de faire premièrement une fort grande révérence pour les princes et une petite pour les autres, ensuite encore une fort grande en me rangeant vis-à-vis d’eux, ensuite encore une petite pour ma gouvernante, laquelle en entrant avec ses filles dans la salle m’en fit de fort grandes. J’étais aussi obligée de leur en faire encore une en leur donnant mes gants à garder, et puis encore une autre, quand je me remettais vis-à-vis de mes frères ; une autre, quand les gentilshommes m’apportaient un grand bassin pour laver les mains, encore une après la prière et la dernière pour me mettre à table, ce qui en fait neuf bien comptées. »

On droit voir une recrue prussienne à l’exercice. A de certains jours, ce dîner si bien gagné se trouvait être une conférence. On invitait des pasteurs ou des professeurs pour entretenir la jeunesse de sujets sérieux, et il fallait s’instruire même en mangeant. L’une des sœurs de la princesse Sophie, Elisabeth, devint à ce régime une grande savante. « Elle savait toutes les langues et toutes les sciences et avait un commerce réglé avec M. Descartes. » Il n’y avait pas de régime capable de faire une savante de la princesse Sophie, pas plus qu’on ne réussit à la rendre dévote en lui faisant apprendre tout le catéchisme par cœur à un âge où elle n’en comprenait mot. Pétillante et rieuse, aimant les arts, les plaisirs élégans, elle nous apparaît dès la première jeunesse avec l’indépendance d’esprit et la grâce qu’elle conservera jusqu’à quatre-vingts ans. Ce qu’elle voulait savoir, elle l’apprenait vite et bien ; elle parlait quatre ou cinq langues dans la perfection. Ce qu’elle jugeait inutile de savoir pour son état de princesse, dont elle avait très haute opinion, lui était insupportable à étudier.

Vers l’âge de dix ans, la reine sa mère l’admit avec ses sœurs aînées à cette singulière cour de La Haye qui fait penser, dans son laisser-aller et sa bonhomie, à certaines vieilles maisons de province pleines d’animaux et d’enfans, grandes arches de Noé où chacun suit sa pente en liberté. Elisabeth, l’élève de Descartes, vivait dans les livres et prêtait à rire par ses distractions de savante absorbée. Sa sœur Henriette se montrait tout Allemande par la passion des choses du ménage et excellait dans les confitures. Une troisième, Louise, s’était donnée aux arts ; elle peignait fort joliment, était toujours habillée de travers et coiffée à la diable. Les serviteurs avaient comme les maîtres des physionomies sui generis. Il y en avait qui dataient de trois générations ; on les avait eus par héritage. De vieilles filles aveugles, impotentes, grognons, traînaient dans les coins avec les écuelles des chiens et d’autres meubles intimes. La bonne reine Elisabeth ne s’occupait de rien, ne surveillait rien, jouait placidement avec ses bêtes tandis que