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M. Laboulaye, fidèle à de vieilles convictions, demandait avec un étonnement mêlé d’ironie et de tristesse si l’école libérale avait donné sa démission ; si elle n’a point donné sa démission, elle est du moins en défaveur et en suspicion. Il est certain que nous avons fait du chemin depuis quelques années. Autrefois, au temps où régnait cette école, on ne se défendait pas des ardeurs désintéressées de l’esprit ; on ne craignait pas de se passionner pour les idées, pour toutes les libertés indistinctement, pour la revendication de toutes les garanties. On livrait des combats pour un principe, pour une extension du droit commun, et l’on croyait avoir gagné une victoire le jour où l’on avait conquis une liberté, où l’on avait pu obtenir l’abrogation de quelque tradition d’arbitraire. Si dans ces luttes il y avait parfois des illusions, elles étaient généreuses ; elles relevaient la vie politique, elles étaient la force vivace et l’honneur d’un parti. Aujourd’hui il s’est formé une école républicaine qu’on n’accusera sûrement pas d’avoir de ces illusions surannées, qui au besoin appelle sans façon la liberté une « guitare. » Elle a fait son éducation avec le temps, et, sous prétexte qu’elle est devenue le gouvernement, elle ne craint pas le moins du monde d’invoquer à son tour la raison d’état, de manier les décrets impériaux, de se servir des armes discrétionnaires léguées par tous les régimes. Elle sait employer la force administrative dont elle dispose à tous les usages. La tradition libérale pour elle, c’est de régner, d’organiser, d’assurer une domination de parti, et ce qu’elle appelle le progrès consiste assez souvent à revenir en arrière, à se débarrasser de quelques libertés qu’on pouvait croire conquises depuis longtemps.

Assurément ces républicains, avec lesquels le gouvernement est obligé de compter quand il ne partage pas lui-même leurs passions, offrent parfois un étrange spectacle. Ils ont une singulière façon de comprendre et de pratiquer le libéralisme. On l’a vu récemment encore à l’occasion d’une proposition dont M. Batbie avait pris l’initiative, qu’il. a soutenue sans succès devant le sénat. La proposition de M. Batbie avait peut-être un titre un peu ambitieux, un peu solennel ; elle s’appelait « la garantie des droits. » Au fond, il s’agissait tout simplement de restreindre la juridiction administrative de manière à fortifier les garanties fort insuffisantes que des lois déjà anciennes, datant pour la plupart de l’empire, assurent à la propriété privée, à la liberté individuelle et à l’inviolabilité du domicile. S’il y avait une réforme libérale et pratique à réaliser, c’est bien celle-là ! Qu’on se souvienne de tous les combats livrés autrefois contre ce fameux article 75 de la constitution de l’an VIII qui n’a disparu qu’en 1870 et qui avait pour objet de soustraire les fonctionnaires à la juridiction du droit commun ! Qu’on se rappelle aussi toutes les plaintes, toutes les réclamations qui se sont succédé pendant des années contre les abus d’autorité discrétionnaire auxquels la liberté individuelle est exposée, contre cette