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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/248

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encore longtemps après dans ses Mémoires, ce que peut sur une âme la conscience timorée. L’état du roi était affreux. Tous ses propos étaient durs, son rire forcé et sardonique et ses plaisanteries pleines d’amertume. Tout l’importunait ; tout allumait les soupçons dans cette âme bourrelée. Que n’ai-je point eu à en souffrir[1] ! » Valori faisait trop d’honneur à la conscience de Frédéric, qui, ce jour-là pas plus qu’aucun autre, ne lui causa beaucoup de tourmens. La preuve que le scrupule n’était pour rien dans son trouble, je la trouverais à défaut d’autre dans une petite anecdote que le même Valori prend également soin de nous raconter. On s’indignait, sous la tente royale, de quelques déprédations exercées en Bohême par l’armée saxonne. « Que dites-vous de ces gens-là ? s’écria Frédéric toujours en colère ; je n’ai jamais pu parvenir à les faire piller en Moravie, quelque chose que je leur aie dit sur cela, et les voilà qui pillent ici, dans un pays qu’ils devraient ménager ! »

La vraie cause de son irritation, c’était, d’abord le dépit d’avoir échoué dans une tentative dont il avait fait beaucoup de bruit, puis la prévision d’une nouvelle campagne que l’approche de l’été allait rendre nécessaire, et qui s’annonçait dans des conditions beaucoup plus pénibles pour les alliés et, pour lui-même, beaucoup moins fructueuses que celles de l’année précédente. D’une part, en effet, l’esprit et la tenue des troupes autrichiennes se ressentaient du succès qu’elles venaient de remporter. Leur confiance était relevée par l’honneur d’avoir fait, en deux mois de temps, capituler des Français et reculer Frédéric. Le grand-duc, satisfait d’avoir pris à ce triomphe une part apparente, cédait à son frère, le prince Charles de Lorraine, un commandement dont, sans l’avouer, Marie-Thérèse commençait à craindre qu’il ne fût décidément incapable. On espérait beaucoup à Vienne, peut-être trop, des talens du nouveau général, dont l’extérieur agréable, la tournure élégante et les manières polies contrastaient avec l’air hautain et embarrassé du grand-duc. L’armée dont il prenait la direction était dans une excellente position. Avec le corps principal il faisait face, sur la frontière de la Moravie et de la Bohême, aux Prussiens campés à Chrudim. A sa gauche, une importante division placée sous les ordres du prince Lobkowitz et appuyée sur une chaîne de places fortes, continuait à barrer à l’armée française le chemin direct de Prague vers la Haute-Autriche. Les Autrichiens, au contraire, avaient leurs communications libres de tous les côtés, aussi bien avec Vienne et le Bas-Danube qu’avec Khevenhüller, toujours maître de la Bavière.

Mais cet avantage militaire, dont Frédéric pouvait espérer que

  1. Mémoires inédits de Belle-Isle. — Valori, Mémoires, t. I, p. 154. — Valori à Amelot, 30 avril 1741. (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)