Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

enthousiasme universel, et vingt lettres aussitôt écrites allèrent porter à Francfort, à Prague et à Linz les louanges du héros qui sacrifiait son repos et exposait sa personne pour le bonheur de ses alliés. Il n’y avait que Valori, qui, ne comprenant pas bien la mission qu’il allait remplir et trouvant qu’on disposait un peu lestement de sa lourde personne, témoignait quelque inquiétude. Les explications très insuffisantes que lui donna Frédéric, en lui laissant prévoir des difficultés de plus d’un genre, ne faisaient qu’accroître son trouble : « Je veux le commandement, lui dit le roi, parce que votre maréchal de Broglie ne me convient pas. » Puis, quelques mots sur la direction que devait prendre l’expédition projetée achevèrent de le confondre : « Il y a bien à réfléchir sur tout ceci, écrivait-il à Belle-Isle au moment de monter en voiture. Mais, pour faire des représentations et des explications, il faut avoir affaire à un prince qui vous écoute ; mais il dit : Je vous prie de retenir ceci, et il vous plante là. C’est la manœuvre qu’il a faite aujourd’hui avec moi à Charlottenbourg avec tant d’empressement de me faire partir qu’avant de se mettre à table il ne m’a pas donné à dîner… Il est donc vrai, Monseigneur, que je pars cette nuit pour cette belle négociation. Il faut que je me prépare en cinq bu six heures de temps sans savoir jusqu’où ce prince me mènera… Il est impraticable de suivre un prince qui, n’ayant pas d’équipage du tout, ne se soucie pas de ce que devient un ministre à sa suite. » Et, à son ministre, il écrivait encore : « Je ne puis, vous dire tout ce que je souffre de cette commission : je prévois des désagrémens infinis à la façon de penser de ce prince sur le maréchal de Broglie… M. de Belle-Isle est le seul qui soit en état de contenir ce prince, et nous touchons peut-être au moment de lui voir faire des écarts terribles. Ne croyez pas qu’on puisse répliquer à ce qu’il dit. Quelque raison qu’on ait, il enfile un discours véhément et décisif et vous laisse à vos réflexions, qui ne sont pas toujours à son avantage ; mais il faut revenir à céder[1]. »

Valori ne se trompait pas : l’entrevue qu’il allait préparer à Dresde fut, en fait, des plus orageuses, et pour lui, en particulier, des plus pénibles. Le premier jour qui suivit l’arrivée du roi de Prusse se passa au milieu de fêtes et de splendeurs de tout genre : festin, bal et spectacle, que le frivole Auguste III se plut à prodiguer autant pour faire éclater son luxe que pour faire honneur à son hôte. Mais, le lendemain, Frédéric demanda une conférence où durent assister, avec Auguste : son ministre, le comte de Brühl ; le général Rustowski, commandant de ses troupes ; son frère, le comte de Saxe, venu tout exprès du camp français ; les deux représentai de la France, Valori

  1. Valori à Belle-Isle et Amelot, 16 janvier 1741. — (Correspondance de Prusse. — Ministère des affaires étrangères.)