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cet avis salutaire. Fleury, averti de l’imputation par Valori, y a opposé la dénégation la plus absolue. « Rien n’est plus faux, écrivait-il à Belle-Isle le 21 juin ; le prétendu Fargis est un commissaire de guerre qui a été effectivement employé en 1735 à quelques affaires relatives à la dernière paix, mais dont on ne fait depuis aucun usage, et je serais assez embarrassé de dire ce qu’il fait aujourd’hui. »

Entre ces deux affirmations contradictoires j’ai dû établir une enquête comme un véritable juge d’instruction, en mettant à profit l’habitude que des études antérieures avaient pu me donner des procédés de diplomatie secrète de Louis XV. Recherche faite, je dois déclarer que, si cette négociation a eu lieu, le secret a dépassé cette fois toute mesure, car aucune trace n’en est restée dans les recoins les plus cachés de nos archives. Je n’ai pu trouver une seule fois, dans un seul document, le nom de Fargis ou de Dufargis. Et il faut que la même prudence ait régné dans les archives de Vienne, car d’un pourparler quelconque proposé par Fleury à Marie-Thérèse à cette date, l’exact et si bien informé M. d’Arneth ne fait nulle part mention. En revanche, ce qu’on trouve presque à toutes les pages dans la correspondance du chargé d’affaires que la France entretenait encore à Vienne, ce sont des offres de négociation faites au nom de la reine par des émissaires plus ou moins autorisés et toujours repoussées par Fleury avec une sorte de terreur. La crainte d’être accusé par Frédéric de duplicité est le seul sentiment qui paraisse dominer le vieux ministre[1].

Dernier grief enfin allégué par Frédéric : on lui avait fait connaître, assure-t-il, que l’envoyé de France à Saint-Pétersbourg, M. de La Chétardie, se faisant médiateur entre la Russie et la Suède, cherchait à les unir contre la Prusse, en promettant à chacune des parties, en compensation des sacrifices qu’elle aurait à faire, un lambeau des possessions prussiennes. J’ai encore eu la patience de parcourir la correspondance de M. de La Chétardie et y ai cherché vainement quoi que ce soit qui ressemble à cette étrange imputation. En tout cas, au moment de la conclusion de la paix par Frédéric, le galant ambassadeur ne jouissait déjà plus de la faveur de la souveraine volage qu’il avait placée sur le trône, la médiation qu’il avait offerte était refusée, et il se préparait à quitter Saint-Pétersbourg en disgrâce. Frédéric n’avait à concevoir de ce côté aucune crainte sérieuse[2].

  1. Fleury à Belle-Isle, 21 juin 1742. — (Correspondance de l’ambassade à la diète. — Ministère des affaires étrangères.) — Voir aussi dans la Correspondance de Vienne, Vincent à Amelot, 31 janvier, 17 février, 16 mars 1742. Ce sont les tentatives diverses et toujours repoussées faites par des agens de Marie-Thérèse pour engager des négociations particulières.
  2. Droysen, t. I, p. 472 ; — Albert Vandal, Louis XV et Elisabeth de Russie, p. 170 et suiv.