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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/301

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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE.

Grec, nullement abattu dans sa mélancolie et n’en sentant pas moins vivement qu’il est bon parfois de vivre, même de la plus humble existence, si le mouvement de l’imagination et la magie du souvenir en relèvent les joies modestes. Théocrite, dans des vers auxquels nous avons déjà fait allusion, exprimera de même la sensation de bien-être du berger, chaudement à l’abri dans sa grotte pendant les rigueurs de l’hiver, auprès du feu où cuisent ses faînes et sa crème de miel et de lait. Mais, dans le poème d’Homère, ce n’est qu’un des mille détails qu’embrasse dans ses vastes contours le drame merveilleux du retour d’Ulysse.

Parmi toutes ces impressions que l’épopée homérique recueille en passant et entraîne dans sa marche puissante, il en est qui sont pour nous d’un intérêt particulier, parce que la vie pastorale nous y montre à sa source même, sous l’inspiration directe de la nature, terrible ou majestueuse, la poésie la plus élevée. Ou bien on voit le berger écoutant dans la montagne le bruit lointain de deux torrens qui précipitent dans le même gouffre leurs eaux impétueuses ; ou bien il contemple les astres en jouissant de la calme beauté d’une des magnifiques nuits du ciel oriental. Il faut citer ce second tableau d’une si expressive brièveté :

« Dans le ciel, autour de la lune brillante, resplendissent les astres ; l’air est sans un souffle ; toutes les étoiles sont visibles : le cœur du berger se réjouit. »

Cette joie intime du berger, c’est le sentiment poétique à sa naissance ; c’est du même coup le dernier terme de la poésie. La sérénité atteinte par une douce et profonde émotion, un contentement désintéressé produit dans l’âme humaine par une secrète communion avec la grandeur et la beauté, n’est-ce pas, pour les esthéticiens de l’école de Platon, le suprême effet de l’art ? Mais ce que nous essayons d’expliquer par l’analyse et l’abstraction, deux mots du vieux poète suffisent pour nous en faire sentir l’éloquente et simple réalité.

Les Grecs considéraient Homère, non sans raison, comme le foyer commun de toute leur poésie. Et, en effet, lorsque sous des influences particulières chaque genre naît et se forme, c’est une partie de l’épopée homérique qui s’en détache pour se développer ou se façonner dans des conditions nouvelles. Il y a une raison particulière pour remonter jusqu’à Homère à propos de l’idylle bucolique, c’est que Théocrite se rattache à lui par certains caractères du style. Il vise à la même naïveté ; comme lui, il détache chaque détail et semble s’y arrêter avec curiosité et avec admiration ; il paraît revenir à l’âge de l’épopée naissante, où la pensée s’éveillait, où tout était nouveau et digne d’intérêt. Mais la principale cause littéraire qui détermina la naissance de la poésie pastorale doit être cherchée