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occupées tout au plus par deux, généralement par une seule famille. Je m’informe s’il y a beaucoup de misère à Baltimore. On me dit qu’il y en a moins qu’à New-York, et qu’il y a aussi moins de grandes fortunes. En Amérique comme en Europe, on trouve la confirmation de cette loi singulière qui met toujours en contraste l’extrême pauvreté et l’extrême richesse. Tout en causant, nous arrivons au fort Mac-Henry qui défend l’entrée du port. Ce fort a joué un grand rôle dans la guerre qui éclata pour la seconde fois, en 1812, entre l’Angleterre et l’Amérique. Il soutint sans faiblir un bombardement et défendit avec succès l’entrée du port contre la flotte anglaise. Ce pauvre fort serait fort embarrassé aujourd’hui d’opposer une aussi héroïque résistance ; on l’a laissé tomber dans un état de dégradation absolue, et c’est à peine s’il est armé. La sécurité des Américains est si grande, leur confiance est si profonde qu’aucune puissance européenne ne sera assez hardie pour venir porter la guerre sur leurs rivages, qu’il en est ainsi de presque toutes leurs défenses côtières. Le même sentiment leur a fait ramener leur armée à un effectif insignifiant et négliger l’armement de leur marine militaire. Il y a cependant depuis peu une réaction contre cette politique. Sans prétendre à une intervention dans les affaires européennes, beaucoup d’esprits rêvent pour l’Amérique un rôle extérieur plus actif et plus militant. Je ne serais pas étonné qu’on vît d’ici à quelque temps les pouvoirs publics consentir à des sacrifices pécuniaires assez importans dans ce dessein. Ils ont raison ; un grand pays comme le leur a le droit de compter davantage dans le règlement des affaires humaines ; mais sans le trouver mauvais, il est bon de le savoir et de s’en préoccuper.

Dans les environs immédiats du fort, je remarque plusieurs cottages, moins élégans que ceux de West-Point, mais fort convenables encore, qui sont destinés au logement des officiers. Toujours le même principe ; traiter les officiers en gentlemen et leur assurer la vie de famille. Nous nous rendons ensuite au port et nous insistons pour qu’on nous mène voir une installation éminemment américaine, ce qu’on appelle un elevator, c’est-à-dire en réalité un magasin à blé. Celui auquel on nous conduit appartient au Baltimore and Ohio Railroad. Il est situé sur le quai. Vingt-quatre wagons de la compagnie chargés de blé qui vient des plaines fertiles de l’Ohio et du Tennessee peuvent y entrer en même temps. Ils déversent chacun leur contenu dans une sorte de cave. Là une chaîne à godets vient prendre le blé et le porte aux étages supérieurs, où il est vanné, puis finalement emmagasiné dans vingt-quatre réservoirs différens. A chacun de ces réservoirs est adapté un tuyau qui pend à l’extérieur et par lequel le blé descend dans les bateaux qui viennent s’amarrer le long de l’elevator. En quelques heures un