le président de la république arrive (en omnibus, je crois, comme nous), et nous nous rendons à sa suite au lieu où doit se passer la cérémonie. C’est une espèce de stand en bois, entouré de tribunes en gradins. L’une de ces tribunes est réservée aux autorités ; quelques mètres carrés de toile grise cloués à quatre piquets sont destinés à préserver lesdites autorités du soleil. On dirait l’estrade d’une gigantesque distribution de prix. Au premier abord, cette simplicité m’a, je dois le dire, étonné ; en y réfléchissant, j’ai fini par la trouver de meilleur goût et en harmonie avec les institutions anciennes du pays. Le président, qui est le premier personnage de l’état, rentrera demain dans le commun des citoyens, et assistera peut-être, perdu dans la foule, à la prochaine cérémonie politique. A quoi bon, pendant l’espace de quatre fois trois cent soixante-cinq jours, le traiter en souverain ? Les Américains sont dans le vrai, et il serait plus logique à nous de les imiter en France, le genre admis.
Après exécution d’un chœur patriotique, la cérémonie commence et s’ouvre par une prière. C’est l’évêque de l’église méthodiste épiscopale de New-York qui est chargé de cette portion indispensable de toute cérémonie américaine. Il parle pendant un quart d’heure environ dans ce beau et solennel langage, un peu différent de la langue ordinaire, qui se prête si bien à l’expression des sentimens religieux. Tout le monde l’écoute, nu-tête, dans un profond silence. Les États-Unis sont, dit-on, la terre classique de la séparation de l’église et de l’état ; je le veux bien. La prière terminée, le président Arthur prend la parole : c’est je crois son début en public comme président, et beaucoup de curiosité se mêle à la déférence avec laquelle on l’écoute. Ses paroles sont parfaitement appropriées à la circonstance ; elles tiennent un juste compte de la fierté patriotique des Américains qui n’aimeraient pas à voir enfler par trop la part prise par l’armée française dans la victoire d’Yorktown, des susceptibilités de la nation anglaise, qui aurait pu considérer d’un œil un peu ombrageux cette éclatante commémoration du passé, enfin, des sentimens de la délégation française, un peu impatiente de voir, après le malentendu de la veille, la France recueillir l’hommage auquel elle avait exclusivement droit. Aussi son discours est-il accueilli avec beaucoup de faveur. M. Outrey, au nom de la mission officielle française, M. de Rochambeau en notre nom à nous, répondent en excellens termes. Cette première partie oratoire dure environ une demi-heure ; pendant ce temps, je me suis laissé aller deux ou trois fois à écouter d’une oreille un peu distraite, et à étudier la foule. Elle se compose en grande partie de nègres, d’habitans de la campagne, de bourgeois des petites villes environnantes, Richmond ou autres, qui sont arrivés par le chemin de fer le matin, et qui s’en retournent le soir. On n’y sent point battre le cœur de la