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souvenirs historiques que les lieux et le jour rappelaient, et il nous a été impossible d’entendre sans émotion l’accent avec lequel il a parlé de la France : « de la France, autrefois une monarchie absolue, depuis un empire, puis une monarchie constitutionnelle, aujourd’hui une république, mais toujours la France. » Nous retrouvons tout entière dans cet accent l’inspiration première et désintéressée qui, par un sentiment de reconnaissance unique, je crois, dans l’histoire des peuples, a voulu associer notre patrie au souvenir d’un grand anniversaire historique, et n’a point exclu de cet honneur les représentans involontaires d’un passé plus à la mode aujourd’hui en Amérique qu’en France. « Nous n’avons point oublié, a dit M. Winthrop dans son discours, que c’est à la monarchie des Bourbons que nous avons dû cette aide. Nous n’avons point oublié que c’est dans les rangs les plus élevés de la société française qu’est né l’enthousiasme pour la cause de notre liberté, et que de son sein sont partis ces braves officiers qui sont venus à notre secours et dont le plus grand nombre devait au retour rencontrer un destin si tragique. » De même nous n’oublierons pas non plus cette invitation qui est venue chercher les descendans de ces officiers, chacun sous son humble toit, dans son obscure existence, pour les associer à l’honneur d’une grande démonstration en faveur de leur pays, et le souvenir de l’accueil que nous avons reçu restera profondément gravé dans le cœur de chacun de nous.

Je le dirai cependant, ce qui m’a le plus intéressé dans le discours de M. Winthrop, ce n’est pas la portion historique, ni le brillant tableau qu’il a tracé, à la manière de Prescott ou d’Augustin Thierry, de la scène qui s’est déroulée il y a cent ans sur ce même emplacement ; c’est ce que j’appellerai la portion américaine, dont certains fragmens m’ont donné à réfléchir. M. Winthrop est retiré depuis d’assez longues années des affaires publiques, après avoir été pendant cinq ans président de la Chambre des représentans. La génération politique à laquelle il a appartenu a disparu presque complètement de la scène et a cédé la place à une autre. Il est un peu (lui-même en convient dans son discours) ce qu’on appelle, je crois, là-bas : « gentleman of the old school, et dans la bouche de beaucoup, c’est un hommage. Est-ce à cela qu’il faut attribuer certaines anxiétés et certaines tristesses qu’il me semble voir percer à travers l’orgueilleuse effusion (bien légitime assurément dans cette circonstance) de son patriotisme ? « Nous n’avons rien à craindre que de nous-mêmes, » s’écrie-t-il, mais pour cela, il ne semble pas qu’il soit tout à fait sans crainte. Lorsqu’après un éloge de Washington, qui est partie obligatoire de tout morceau d’éloquence américaine, il s’écrie avec chaleur : « Oh ! que sa mémoire, ses principes, ses exemples soient à jamais sacrés, et jalousement gardés dans nos cœurs ! que dans toutes