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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 50.djvu/468

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— de beau corsaige et encore fort jeune, dextre et agile de sa personne ; .. Il ne se trouvoit escuyer ou serviteur qui mieulx servist, m plus adroict a la table d’un seigneur qu’elle faisoit, comme celle qui estoit de bonne grâce, saige et fort discrette, » et sachant « très bien manier, picquer et chevaucher un cheval, porter un oyseau, et davantaige lire et escrire, et tenir un papier de raison comme si elle eust été un marchant… ; » et son mari affirmait « par serment qu’on n’en sçauroit trouver une autre plus honneste et plus chaste qu’elle, au moyen de quoy il croyoit certainement que s’il demouroit dix ans, ou bien toute sa vie, hors de sa maison, qu’elle n’entendrait jamais à telle meschanceté avec un autre homme. » Barberine, et pour cause, a toutes ces vertus et toutes ces grâces ; mais elle a, par surcroît et pour mieux défendre le reste, cette malice, cet enjoûment, cette gaîté raisonnable et cette bravoure mutine qu’on ne trouve guère qu’aux femmes de France, peut-être « par grâce spéciale de Dieu. » Elle est de la même race que cette Francéza de Kerjean, qui dans la légende bretonne, joue au sire d’Aiguillon le même tour que Barberine à Rosemberg : « Il commença, — ce d’Aiguillon, — — par dire à Francéza qu’il la trouvait plus belle que toutes les beautés de la cour, et cela fit rire la dame ; il ajouta qu’on ne pouvait la voir sans l’aimer, et elle rit toujours ; il avoua enfin qu’il était sûr de mourir si elle ne le prenait en pitié, et elle rit plus fort que jamais. » Avec sa cornette moyen âge, elle est de la même race, — et de quelle autre serait-elle ? — que Mme de Léry, du Caprice, sous sa guirlande de bal ; elle a, par grâce spéciale du poète, ce même bon sens aiguisé, cette même vertu sans pédanterie, avec plus de tendresse et de sérieux, comme il convient à une dame dont le seigneur est en guerre. Et surtout elle parle cette même langue française d’une mélodie si légère, si vive et si nette, avec je ne sais quoi de plus gracieux encore, de plus aimable et de plus touchant. Volontiers je consentirais à passer deux heures au théâtre pour n’écouter que ces deux couplets de prose récités simplement d’une voix fraîche : « Dieu m’est témoin que je me contenterais toute ma vie de ce vieux château et du peu de terres que nous avons, s’il te plaisait d’y vivre avec moi. Je me lève, je vais à l’office, à la basse-cour, je prépare ton repas, je t’accompagne à l’église, je te lis une page, je couds une aiguillée et je m’endors contente sur ton cœur… Je suis un ange, mais un ange-femme ; c’est-à-dire que, si j’avais une paire de chevaux, nous irions avec à la messe. Je ne serais pas fâchée non plus que mon bonnet fût doré, que ma jupe fût moins courte et que cela fît enrager les voisins. Je t’assure que rien ne nous rend légères, nous autres, comme une douzaine d’aunes de velours qui nous traînent derrière les pieds ! »

En vérité, je ne conçois pas que l’on puisse être assez ennemi de son plaisir pour raisonner si l’intrigue est vraisemblable ou forte et